SON PITTOR ANCH'IO: SÉNÈQUE-DIDEROT, OU DIDEROT-ATTALI
"Je ne veux pas qu'on mente devant la justice" — Denis Diderot
AM | @HDI1780
Le Diderot de Jacques Attali ressemble énormément au Sénèque de Denis Diderot: voilà le principal mérite de Diderot ou le bonheur de penser (Paris : Fayard, 2012). Écrivain et conseiller politique de haut niveau, M. Attali se raconte lui-même à travers les 513 pages de cette étonnante biographie. Sénèque-Diderot ou Diderot-Attali: c'est là tout l'attrait du livre. Car l'auteur est particulièrement bien placé pour comprendre les émotions qui jalonnent la carrière de l'écrivain-conseiller — jalousies sans fin, ambitions secrètes, attentes frustrées. Le Verbatim de l'ancien conseiller de François Mitterrand évoque le dialogue entre l'encyclopédiste et Catherine II, reproduit dans les Mélanges.
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Fasciné par son personnage, M. Attali avoue qu'il aurait « adoré avoir un ami comme lui ». Denis Diderot est présenté comme un « immense écrivain et un formidable penseur » ; son oeuvre est « une des plus extraordinaires aventures de l'esprit humain ». M. Attali va vite, très vite : les descriptions d'articles, d'ouvrages, d'amours et de voyages se succèdent à un rythme soutenu. Les idées vont dans toutes les directions : philosophie, économie, sexe, théâtre, anatomie, biologie et bien d'autres. Il en résulte un texte riche, fourmillant de pistes à suivre et de références à retenir. Le contexte global est toujours présent : l'essor de la Grande-Bretagne (« nouvelle superpuissance européenne »), le déclin relatif de la France et de la Chine, la Révolution outre-Atlantique.
L'aventure de l'Encyclopédie, racontée au présent, est une des parties les plus réussies du livre. Quelques vingt articles font l'objet de brefs commentaires, toujours très utiles. Et puis tous les personnages qui comptent sont au rendez-vous : Diderot père et frère, Toinette et les soeurs Volland, d'Holbach et Helvétius, les abbés Raynal et Galiani, les libraires Le Breton et Panckoucke, Damilaville et Voltaire, Catherine II et la princesse Dashkoff. Grimm et Rousseau sont les deux grands méchants. (Je ne suis pas un fan de Jean-Jacques, loin de là, mais tout le monde paraît s'acharner contre le citoyen de Genève : Michel Onfray, Jonathan Israel, Philipp Blom, María José Villaverde, et maintenant Jacques Attali...).
Mais il est un peu dangereux de vouloir aller trop vite. Sous la forme de répétitions et d'imprécisions parfois gênantes, M. Attali paye le prix de son rythme vertigineux. Claude-Adrien Helvétius est, paraît-il, un « obsedé sexuel ». Diderot ne l'aime pas. Soit. Mais à quoi bon le répéter ? Raynal est-il mort dans la misère ? Certainement pas. La Convention de Philadelphie, convoquée en novembre 1787 ? Il y a tout juste deux mois que ses travaux ont fini. Et puis on aimerait lire davantage d'analyse, en particulier sur le différend Voltaire-Diderot à propos du chancellier Maupeou (1771) et de l'importance attribuée à la « forme judiciaire ».
Je compte revenir, ici-même, sur certains aspects de Diderot ou le bonheur de penser. En attendant, M. Attali, qui vient de réussir un excellent portrait de l'encyclopédiste, pourra dire, à l'instar de son illustre personnage: Son pittor anch'io.
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