Wednesday, March 7, 2012

L'HISTOIRE DES DEUX INDES & L'AFRIQUE DU NORD

AM | @agumack

Abstraction faite des (considérables) préjugés de l'époque, le Livre XI de l'Histoire des deux Indes peint un tableau de l'Afrique du Nord qui maintient quelques éléments d'actualité: autoritarisme politique, absence de représentation, instabilité du droit de propriété, manque de crédit. J'avoue que j'hésitais à écrire sur un sujet si sensible. Un article récent de l'économiste péruvien Hernando de Soto sur la Tunisie, et un autre sur la Lybie, publié ce matin dans El País, m'ont fait changer d'avis (*).

En fait, l'économie politique telle que l'envisageaient Raynal et Diderot est d'une surprenante actualité. Voici, de façon très schématique, ses principaux éléments: sous le despotisme, pas de droit de propriété; sans droit de propriété, pas de crédit; sans crédit, pas d'innovation, pas de commerce; sans innovation et sans commerce, pauvreté et "inégalité factice des fortunes & des conditions, qui naît de l’oppression & la reproduit" (HDI 1780, xvii.4). C'est bien pourquoi Raynal écrit: "Le despotisme des gouvernemens prépare de loin la révolte des peuples".

. Aux yeux de leurs maîtres, ce ne sont que des animaux nécessaires à la culture. On dispose arbitrairement de leurs biens & de leur vie, sans que ces actes d’injustice ou de cruauté aient jamais provoqué la vengeance du gouvernement (xi. 2).

. Les intérêts du pacha ne sont pas plus respectés que ceux du sultan. La milice même ne touche jamais sa solde entière, & les citoyens de tous les ordres sont habituellement dépouillés (xi.2).

. Si jamais l’Egypte sort de l’anarchie où elle est plongée; s’il s’y forme un gouvernement indépendant & que la nouvelle constitution soit fondée sur des loix sages: cette région redeviendra ce qu’elle fut, une des plus industrieuses & des plus fertiles de la terre. Il seroit absurde d’annoncer les mêmes prospérités à la Lybie (xi.3). 

. Les pachas ou vice-rois chargés de conduire les pays assujettis, y portèrent cet esprit de ravage dont leur nation a laissé par-tout des traces ineffaçables. Ce n’étoient pas seulement les peuples qui étoient exposés à des rapines perpétuelles: l’oppression s’étendoit sur les troupes, quoique toutes Ottomanes [...] Alger, Tunis, Tripoli, reçurent la même législation. C’est une espèce d’aristocratie (xi.4).

. Il est rare que ces élections se fassent sans effusion de sang; & il est ordinaire qu’un homme élu dans le carnage soit massacré dans la suite, par des gens inquiets, qui veulent s’emparer de sa place, ou la vendre pour s’avancer (xi.4).

. Ce précieux métal, arrivé à Maroc, n’y circule, que très-rarement. Il y est enterré, comme dans tous les gouvernemens où les fortunes ne sont pas assurées. C’est encore la destinée de l’argent que les Européens introduisent dans l’empire par les neuf rades qui leur sont ouvertes (xi.8).

. Ses habitans [Salé, Maroc] étoient à la fois marchands & corsaires. Ils ont à-peu-près cessé d’exercer l’une & l’autre de ces professions, après avoir été subjugés & dépouillés de leurs richesses par le monarque actuel (xi.8).

(*) Voici Hernando de Soto au sujet de la révolution tunisienne: "Bouazizi immolated himself in a terrible suicide because he never got a right to the land his house was built on, which could have been used for credit to develop his business, for example, to buy a truck. He was never able to get an official right to put a stall in a public place and so, he never had a property right to it"; voir aussi Maite Rico: "Las milicias se adueñan de Libia", El País.
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