Monday, March 26, 2012

LES LUMIÈRES RADICALES @ RÍO DE LA PLATA, III
"Tout acte d'un pouvoir arbitraire est injuste" — Helvétius

AM | @HDI1780

Je présente aujourd'hui la troisième partie de mon analyse —à l'aide de techniques dites de "Humanities 2.0" — de l'article de "Un Ciudadano", publié le 20 novembre 1810 dans la Gazeta Extraordinaria de Buenos-Ayres, en pleine révolution du Río de la Plata (voir: 1, 2). L'auteur de l'Histoire des deux Indes est présenté comme "un sábio filosofo"; cependant, Moreno (ou Funes) ne le mentionne jamais de façon explicite. A noter également la présence d'un morceau tiré de la Correspondance littéraire de Grimm.

Ce n'est pas la première fois: nous en avons noté des traces dans d'autres textes de Moreno. Cela pose pourtant un problème. Les écrits de Moreno datent au plus tard de 1810 (il mourra début 1811). Or, la Correspondance n'est publiée qu'après 1813. Ils est donc clair que ces textes circulaient bien avant. Quant à la référence aux "vertueux incas" de Raynal, elle provient du Livre VI de l'édition de 1774 de l'HDI. Il me semble que ce passage ne figure pas dans le texte de 1780. Affaire à suivre...

* * *

Sobre estas máximas ha procedido la corte de España, como para afirmar el concepto público á favor de su ilimitada autoridad [1]. Todo se ha puesto en práctica, á fin de persuadirnos que sus Monarcas casi eran de otra especie de la nuestra, y que sus caprichos llevaban siempre el sublime carácter de la ley.

La nación española sacrificada ella misma al despotismo [2], se iba interesando tambien en que la América lo fuese, para engrasare con sus bienes, y resarcir sus depredaciones [3]. Los virreyes fastuosos [4], que como dice un sábio filósofo [5], enervados por la codicia, y los placeres han dormido insolentemente sobre las cenizas de los virtuosos incas [6], forzoso era que sin inquietarse por la felicidad del estado [7], solo exigiesen una obediencia ciega [8], que les ganase partido en la estimacion del comun dueño [9].

Las Audiencias lejos de velar sobre las costumbres, y ser los oráculos de la verdad [10], no han hecho mas que multiplicar á nuestros ojos [11] exemplos de rapiña [12], y de injusticia [13], que contrastan enormemente con las lecciones de providad [14], que debian dar. ¿Qué otra cosa les convenía, sino sofocar el grito de la razon [15], y dar en su conducta antojadiza una expresion enérgica del poder que representaban? Los gobernadores de la provincia creían haber hecho lo bastante por los pueblos, miéntras los veian soportar el yugo con impaciencia [16], y tomaban esta sumision por una prueba de su felicidad [17].

¿Será extraño que afianzada asi la opinion pública se nos haya pedido para los príncipes un culto casi igual que á la divinidad? Bien ha podido la razon algunas veces reclamar sus derechos á favor nuestro, y señalarnos en ellos con el dedo los opresores de los pueblos [18]: ninguno ha sido tan osado, que no saliese huyendo de sí mismo, á fín de no ser cómplice de su imaginación [19]. Sr Editor, demos gracias al Dios vengador [20] de sus hechuras, porque ha querido ponernos en estado de que una nueva constitucion enmiende sus agravios.

[1] ILIMITADA AUTORIDAD… CAPRICHOS. Raynal: “…soumise aux caprices, exposée aux vexations d’une autorité illimitée?” (HDI 1780, v.4, p. 32).

[2] SACRIFICADA ELLA MISMA AL DESPOTISMO. Abbé Bergier: “…celui-ci a sacrifié au despotisme des Rois…” (
Encyclopédie Méthodique. Théologique, Tome 3. Paris: Panckoucke, 1790, p. 378).

[3] DEPREDACIONES. Raynal: “Les déprédations des Espagnols dans toute l’Amérique…” (HDI 1780,
xix.1, p. 9). Texte d'Alexandre Deleyre, bien connu par Moreno.

[4] LOS VIRREYES FASTUOSOS. Voltaire: “Le vice-roi qui résidait à Goa égalait alors le Gran Mogol en magnificence & en faste…” (Essai sur les moeurs et l’esprit des nations, Vol. 3, Œuvres complètes de Voltaire, Tome 18. Imprimerie de la Société Littéraire-Typographique, 1784, p. 393).

[5] UN SÁBIO FILÓSOFO. C'est Raynal! Dans la Representación de los hacendados, Moreno le décrit comme “el más fecundo ingenio de nuestro siglo” (Moreno s'identifie pleinement avec le Siècle des Lumières). Dans la Gazeta de Buenos-Ayres du 16 septembre, Raynal devient “un filosofo moderno, cuyos talentos formarán siempre el asombro de la posteridad”. 

[6] FASTUOSOS… ENERVADOS POR LA CODICIA Y LOS PLACERES HAN DORMIDO INSOLENTEMENTE SOBRE LAS CENIZAS DE LOS VIRTUOSOS INCAS. Raynal: “…la destinée a voulu que des moines bizarrement fastueux, énervés à la fois par la paresse & par la volupté, dormissent insolemment sur les cendres des vertueux incas…” (HDI 1774,
vi.21, p. 207).

[7] LA FELICIDAD DEL ESTADO. Mably: “…instrument de la félicité de l’état…” (“La retraite de M. Necker”, Œuvres posthumes de l’abbé Mably, Tome 3. Paris: Desbriere: 1798, p. 132). Moreno a lu De la Révolution françoise (1796) de Necker.

[8] OBEDIENCIA CIEGA. Helvétius: “Nous n’exigeons point, dit s. Paul, une obéissance aveugle…” (
De l’esprit, 1758, iv.10, p. 558); d’Holbach: “L’obéissance aveugle n’est faite que pour les esclaves.” (Politique naturelle, ou discours sur les vrais principes du gouvernement, Tome I, iv.3, Londres, 1773, p. 162). Raynal: “…énervées par l’habitude d’une obéissance aveugle…” (HDI 1780, vi, p. 394).

[9] COMUN DUEÑO. Helvétius: “Maître commun de tous les inventeurs” (De l’homme, 1773, Tome I, ii.24, p. 225).

[10] LOS ORACULOS DE LA VERDAD. Raynal: “…les prétendus oracles de la vérité.” (HDI 1780, xix.1, p. 11). Texte de Deleyre.

[11] MULTIPLICAR À NUESTROS OJOS. De Jaucourt: “…l’avantage de multiplier à nos yeux des objets uniques…”, article
VERRE, Encyclopédie, Tome 17, 1765, p. 93).

[12] EXEMPLOS DE RAPIÑA. Voltaire: “…premier détestable exemple des rapines ecclésistiques.”
Œuvres complètes de Voltaire, Tome 33. Imprimerie de la Société Littéraire-Typographique, 1784, p. 442).

[13] EXEMPLOS DE INJUSTICIA. Raynal: “…par un exemple de cette injustice…” (HDI 1780,
vii.3, p. 9).

[14] LECCIONES DE PROVIDAD. Mirabeau: “…leur a donné une leçon de probité…” (
Orgie et testament de Mirabeau, 1791, p. 30). C'est possible!

[15] SOFOCAR EL GRITO DE LA RAZÓN. Frédéric II: “…étouffer le cri de la raison, de la nature et de l’humanité.” Lettre de Frédéric II à Voltaire, septembre 1775,
Œuvres complètes de Voltaire, Tome 87. Imprimerie de la Société Littéraire-Typographique, 1785, p. 202). Raynal: “La forcé de l’habitude, qui étouffe si souvent le cri de la raison…” (HDI 1780, viii.13, p. 297). Fragment sur le Paraguay.

[16] SOPORTAR EL YUGO CON IMPACIENCIA. Histoire Universelle: “…supporter avec impatience le joug des Cheiks Arabes.” (
Histoire Universelle, Tome 24, xix.2. Amsterdam et Leipzig: 1745 , p. 109). Ce n'est pas la première apparition de l'Histoire Universelle. Helvétius: “Les gens vertueux, raisonnables, supportent impatiemment le joug du Despotisme.” (De l’homme, 1773, Tome II, vi.1, p. 78, note).

[17] PRUEBA DE SU FELICIDAD. Grimm: “…c’est la preuve du bonheur auquel nous étions destinés…” (“Pourquoi l’Homme ne nait pas, comme las Animaux, avec le degré de perfection qui lui en est propre?”, 1776,
Correspondance littéraire, p. 419).

[18] OPRESORES DE LOS PUEBLOS. Helvétius: “Des hommes qui joignent á la qualité d’esclaves celle d’oppresseurs des Peuples.” (De l’homme, 1773,
Tome 1, iv.16, note 54, p. 384).

[19] CÓMPLICE DE SU IMAGINACION. Claude Joseph Dorat à Voltaire, 1766: “Ne croyez pas cependant que mon coeur ait été, dans tout ceci, le complice de mon imagination…” Œuvres complètes de Voltaire, Tome 115. University of Toronto Press, 1974.

[20] DIOS VENGADOR. Montesquieu: “Qu’il trouve en tout lieu la présence d’un Dieu vengeur et les puissances célestes irritées!” (Discours au Parlement de Bordeaux, 1723;
voir). Rousseau: “Le Dieu vengeur est le Dieu des méchans…” (Julie ou la Nouvelle Heloïse, Tome III, Amsterdam: 1769, p. 291). Condorcet: “…d’annoncer aux hommes un Dieu vengeur des crimes…” (“Vie de Voltaire”, Œuvres complètes de Condorcet, Tome 7. Paris: Henrichs, 1804, p. 63).
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