Saturday, June 15, 2013

JACQUES NECKER & LA « THÉORIE INSTITUTIONNELLE » DU CRÉDIT
... la puissance arbitraire, et le crédit, ne vont pas ensemble — Jacques Necker

AM | @HDI1780

Septembre 2010. Alors que je parcours la biographie de Mme de Staël par Michel Winock, la mention de l'un des derniers livres de Jacques Necker, Dernières vues de politique et de finance (1802), détourne tout à coup mon attention. J'introduis alors le mot « crédit » dans le moteur de recherche de Google Books : une agréable découverte m'attend. Car Dernières vue de politique et de finance est peut-être l'un des derniers livres d'économie politique à contenir une « théorie institutionnelle » du crédit. Dès 1803, avec Jean-Baptiste Say, les économistes —aveuglés par le succès foudroyant de l'économie anglaise— cesseront de faire référence aux données institutionnelles qui expliquent pourtant l'essor du crédit.

* * *

En lisant l'ouvrage de Necker, on ne peut éviter une réfléxion : Napoléon Bonaparte —à qui ce livre est en quelque sorte dédié— a très mal lu l'Histoire des deux Indes. Car il en retiendra l'une des parties les moins réussies, à savoir les préjugés anti-espagnols de Raynal et Diderot (dérivés sûrement de Montesquieu, le maître à penser de ce dernier). Et il choisira d'en ignorer la partie la mieux réussie — la magnifique leçon sur le crédit : « Un despote ne doit pas obtenir du crédit » (HDI 1780, xix,2, p. 52) [1]. Raynal a-t-il médité ces questions avec Necker dès les années 1760, comme le suggère Kenta Ohji ? [2]. Probablement. En tout cas, voici quelques idées du grand banquier genevois :

« .. la plénitude du crédit est incompatible avec l'existence d'un pouvoir sans balance » (p. 382). Le despotisme et le crédit « ne vont jamais ensemble » (p. 444). Le crédit et la sécurité générale présupposent « une autorité balancée par des droits et des pouvoirs représentatifs » (p. 441). « ...la puissance arbitraire, et le crédit public, ne vont pas ensemble » (p. 392). Il n'y a pas de crédit sans « une limite à l'autorité suprême » (p. 393). « Le meilleur soutien du crédit est un Gouvernement sagement organisé, un Gouvernement réglé par des lois consitutionnelles, qu'aucune force ne peut rompre; et qui fait de l'autorité première un instrument utile, et non un pouvoir arbitraire » (p. 395).

Pour Necker, le régime de Bonaparte est particulièrement instable, car sa continuité n'étant pas complètement assurée, le gouvernement doit payer des taux d'intérêt bien plus onéreux que ceux de l'Angleterre, qui est pourtant plus lourdement endettée ! Ce qui explique l'énorme prime de risque : la France doit payer des taux d'intérêt de près de neuf pour cent, contre seulement trois pour cent pour l'Angleterre !

[1] Voir à ce sujet Agustin Mackinlay : « Une "heureuse révolution dans les idées" : l'Histoire des deux Indes et l'indépendance de l'Amérique méridionale », Alvar de la Llosa & Thomas Gomez (ed.) L'indépendance de l'Amérique andine et l'Europe (1767-1840). Université Paris Ouest Nanterre La Défense, 2011. 

[2] Kenta Ohji : « Raynal, Necker et la Compagnie des deux Indes. Quelques aspects inconnus de la genèse et de l'évolution de l'Histoire des deux Indes », Gilles Bancarel (Ed.) Raynal et ses réseaux. Paris : Honoré Champion, 2011.

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