Thursday, March 15, 2012

DIDEROT & LES CONTRE-FORCES (II)
"Le supplice public d'un roi change l'esprit d'une nation pour jamais" — Diderot

AM | @HDI1780

Il y a tout juste un mois, j'avais fait référence au vocabulaire employé par Diderot au sujet de l'équilibre politique: contre-forces au lieu de contrepoids [voir]. Un exemple, tiré de sa diatribe contre le despotisme chinois, illustre nettement ce point de vue. Pour Diderot, il y a une seule façon de prouver que l'autorité souveraine est limitée, c'est-à-dire que le gouvernement n'est pas despotique: il faut voir, ou tout au moins avoir vu, les contre-forces en action. Voici le texte:

Mais l'autorité souveraine est limitée à la Chine ... Où ne l'est-elle pas? Comment, par qui est-elle limitée à la Chine? Si la barriere qui protège le peuple n'est pas hérissée de lances, d'épées, de bayonnettes dirigées vers la poitrine ou la tête sacrée de l'empereur pere & despote, nous craindrons, mal à propos peut-être, mais nous craindrons que cette barriere ne soit à la Chine qu'une grande toile d'araignée sur laquelle on auroit peint l'image de la justice & de la liberté, mais au travers de laquelle, l'homme qui a de bons yeux apperçoit la tête hideuse du despote. Y a-t-il eu un grand nombre de tyrans déposés, emprisonnés, jugés, mis à mort? Voit-on sur la place publique un échaffaud sans cesse dégouttant du sang des souverains? Pourquoi cela n'est-il pas? (HDI 1780, i.21, p. 151).

De façon indirecte, c'est l'histoire politique de l'Angleterre qui est évoquée ici. L'action violente des contre-forces revient dans deux morceaux de Diderot sur l'Angleterre. Au titre XXIV des Mélanges pour Catherine II, nous lisons: "Que ce tribunal [le Parlement] si utile qui a coûté des flots de sang à l'Angleterre..." Et voici HDI 1780, xviii.39, p. 203: "On vit l’Anglois, sous les Tudors, abandonner ses droits les plus précieux & livrer sa tête sans défense à la hache des tyrans: mais jamais renoncer au droit de s’imposer lui-même. C’est pour le défendre qu’il répandit des flots de sang, qu’il détrôna ou punit ses rois."

On comprend mieux, en relisant ces textes, pourquoi Diderot parle de contre-forces physiques, et pourquoi le dynamisme des "contre-forces" est préferé à l'inertie des "contrepoids".
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