Monday, September 30, 2013

LIBERALISM & REALISM IN HISTOIRE DES DEUX INDES (I)

AM | @HDI1780

"Elle étoit parvenue à la monarchie universelle du commerce" — Raynal

Open a manual on International Political Economy and you will find an introduction to the three main "schools of thought": Realism, Liberalism and Marxism. Where does Histoire des deux Indes, the first major IPE manual, stand from this perspective? Needless to say, the book is long enough to contain many different views. Roughly speaking, Deleyre supplied the more liberal points of views in his Tableau de l'Europe (1774). Raynal, on the other hand, moved away from the liberalism of the first edition and ended up embracing realism in 1780. (I will tackle Diderot in another post).

Before discussing Raynal's realism, let me quote this fascinating passage from Book X:

Le systême de M. Pitt parut à de grands politiques le seul élevé; le seul même raisonnable. Sa nation avoit contracté une si prodigieuse masse de dettes, qu’elle ne pouvoit, ni s’en libérer, ni même en soutenir le poids, qu’en ouvrant de nouvelles sources d’opulence. L’Europe, fatiguée des vexations que la Grande-Bretagne lui faisoit éprouver, attendoit avec impatience l’occasion de mettre son oppresseur dans l’impossibilité de les continuer [...] Toutes ces raisons faisoient que l’Angleterre, quoique commerçante, étoit forcée, pour se maintenir, de s’agrandir sans cesse. (HDI 1780, x.16).

This is Leninism avant-la-lettre! The trading nations of Europe need to conquer new markets in order to avoid a domestic financial collapse! Did Lenin ever read these lines?

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The key tenet of realism, in the international arena, is the balance of power, or équilibre. Raynal eloquently argues that France needs to beef up her navy in order to fulfill her role as a garant of the balance of power in Europe:

Telle est l’espérance de l’Europe. Elle ne croira pas sa libertée assurée jusqu’à ce qu’elle voie voguer sur l’océan un pavillon qui ne tremble point devant celui de la Grande-Bretagne. Le vœu des nations est maintenant pour la puissance qui saura les défendre contre la prétention d’un seul peuple à la monarchie universelle des mers; & il n’y a en ce moment que la France qui puisse les délivrer de cette inquiétude. Le systême de l’équilibre ordonne donc que la cour de Versailles augmente ses forces navales, d’autant plus qu’elle ne le peut sans diminuer ses forces de terre: alors son influence partagée entre les deux élémens, ne sera plus redoutable sur aucun qu’à ceux qui voudroient en troubler l’harmonie (HDI 1780, xiii.58). 

Note the choice of words: "... le systême de l'équilibre ordonne..."; in the 1772 edition, we read: "...le systême de l'équilibre veut..." (Vol. 5, xiv, p. 295). The tone has clearly changed; realism is now much more pervasive. The American crisis has created a renewed sense of urgency about the need to fight "la monarchie universelle du commerce" (HDI 1780, xii.14) (*).

(*) This passage echoes Deleyre: "C’est cette espèce de monarchie universelle que l’Europe doit ôter à l’Angleterre, en redonnant à chaque état maritime la liberté, la puissance qu’il a droit d’avoir sur l’élément qui l’environne. C’est un systême de bien public, fondé sur l’équité naturelle" (HDI 1780, xix.3). Note the reference to équité; as Volney would later say: "Aequitas, aequilibrium, aequalitas, sont tous de la même famille".
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Thursday, September 26, 2013

HUIZINGA ON GOETHE

AM | @HDI1780

"Maar zij gaven de wereld een Bach en een Goethe" — Johan Huizinga

There are some books that one buys just because of an idea, a sentence, a line. This happened to me a few years back while wandering through the bookshelves of the wonderful De Slegte in Amsterdam. The book in question was a grim account of the state of Western civilization by Dutch historian Johan Huizinga. Published in 1945, its title was suggestive enough: Geschonden wereld ("The world disfigured"). Yet Huizinga saw light at the end of the tunnel. Here's the line that prompted me to buy it:

Goethe is niet te denken in een Duitschen eenheidstaat.

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The idea that knowledge may be "dwarfed by authority" can be traced to David Hume's essay "Of the rise and progress of the arts and sciences" (1742). In order to be allowed to flourish, says Hume, the arts and sciences must "break the progress of authority":

If we consider the face of the globe, EUROPE, of all the four parts of the world, is the most broken by seas, rivers, and mountains; and GREECE of all countries of EUROPE. Hence these regions were naturally divided into several distinct governments. And hence the sciences arose in GREECE; and EUROPE has been hitherto the most constant habitation of them.

The argument is applied to China, where "the sciences have made so slow a progress". In the 1780 edition of Histoire des deux Indes (i.xx, pp. 125ff), Diderot further develops Hume's idea in his brilliant discussion of China [see] (*).

(*) See Anthony Pagden's excellent review of the leading Aufklärer views on China, in chapter 6 of The Enlightenment and why it still matters. Oxford University Press, 2013.
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Tuesday, September 24, 2013

CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE No. 1

AM | @HDI1780

« Tout interprète est infidèle » — Mallet

[1] Founding Conservatives. David Lefer is out with a new book on some of the "unsung" (and "conservative") heroes of the American Revolution: John Dickinson, Robert Morris, Gouverneur Morris, etc (*). In 1769, Diderot wrote a review of Dickinson's Lettres d'un fermier de Pensylvanie; it begins with these words: "C'est une grande querelle que celle de l'Angleterre avec ses colonies. Savez-vous mon ami par où nature veut qu'elle finisse? Par une rupture" [see]. As for Gouverneur Morris, he was busy distributing copies of Thomas Paine's 1782 refutation of Raynal: see footnote 3 to this letter by Paine to Robert Morris.

(*) David Lefer. The Founding Conservatives. How a Group of Unsung Heroes Saved the American Revolution. New York: Penguin, 2013 [see] [VIDEO].
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[2] Badinter & Badinter. Il y a 25 ans, Elisabeth et Robert Badinter publiaient Condorcet. Un intellectuel en politique (Fayard, 1988). Je l'ai relu cette année. Le livre a très bien vielli, quoi qu'il devrait être lu avec un ouvrage publié un an plus tard : Condorcet. Mathématicien, économiste, philosophe, homme politique (Minerve, 1989). On trouve un grand plaisir à imaginer le séjour de Condorcet et d'Alembert à Ferney (1770), l'année « magique » du géomètre (1786), la rédaction de l'Esquisse (1793). Mais surtout, on saisit bien les conséquences majeures de la virtuelle disparition du pouvoir éxécutif en 1792 — conséquences courageusement anticipées par Raynal en mai 1791. Bravo les Badinter !
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[3] L'Edda des islandois. Grâce, encore une fois, à Google Books, j'ai repéré le livre cité par le baron d'Holbach dans son article ISLANDE [voir]: il s'agit de l'INTRODUCTION A L'HISTOIRE DE DANNEMARC, SECONDE PARTIE, Contenant les Monumens de la Mythologie & de la Poésie des anciens peuples du Nord. Genève, 1763. L'auteur est le genevois Paul Henri Mallet (1730-1807). Pour son article, d'Holbach choisit une série d'aphorismes ; on les retrouve entre les pages 248 et 257 du livre.
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[4] Enlightenment Shadows. At Alibri, the excellent bookshop in Barcelona, I saw this finely edited plaquette by Genevieve Lloyd (*). From the publishers: "The book is organized around interconnected close readings of a range of texts: Montesquieu's Persian Letters; Voltaire's Philosophical Dictionary; Hume's essay The Sceptic; Adam Smith's treatment of sympathy and imagination in Theory of Moral Sentiments; d'Alembert's "Preliminary Discourse" to the Encyclopedia--together with Diderot's entry on Encyclopedia; Diderot's Rameau's Nephew; and Kant's essay Perpetual Peace. Throughout, the readings highlight ways in which Enlightenment thinkers enacted in their writing--and reflected on--the interplay of intellect, imagination, and emotion".

(*) Genevieve Lloyd. Enlightenment Shadows. New York: Oxford University Press, 2013.
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Saturday, September 21, 2013

CHAMBRE IMPÉRIALE

AM | @HDI1780

"...la bonne administration de la justice..." — d'Holbach

En étau entre plusieurs contributions de Boucher d'Argis (où Raynal est parfois cité : voir), CHAMBRE IMPÉRIALE, Jurisprud. & Hist. mod., publié dans le tome 7 de l'Encyclopédie, est l'un des articles non-scientifiques du baron d'Holbach [voir]. D'Holbach y retrace l'histoire du judicium camerale, le « premier tribunal de l'empire Germanique ». À lire l'article, on perçoit à quel point le baron vénère l'indépendance de la justice. C'est, à mon avis, l'un des traits les plus importants (et relativement méconnu) d'une pensée qui, à cet égard, rejoint celle de Raynal et Diderot.

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La Chambre Impériale est un « respectable tribunal » ; s'il n'a pas rempli son rôle de façon tout à fait efficace, c'est en partie à cause du « peu d'exactitude que les princes d'Allemagne ont eu de payer les sommes nécessaires pour salarier ces juges ». Le salaire des juges ! Voilà précisemment l'un des critères-clé de l'indépendance de la justice, comme le souligneront Diderot dans ses Observations sur le Nakaz, Raynal dans l'Histoire des deux Indes, et Adam Smith dans la Wealth of Nations.
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Thursday, September 19, 2013

ISLANDE

AM | @HDI1780

"Les habitans de l’Islande professent la religion luthérienne" — d'Holbach

Il y a quelques mois, en vacances à Buenos Aires où je garde mon édition de l'Encyclopédie (Livourne : 1773-1775), j'avais eu la chance de repérer quelques articles non-scientifiques du baron d'Holbach. Malheureusement, j'avais perdu mes notes peu de temps après. Je viens d'en récupérer une partie. Dans l'article ISLANDE (Géog.), le baron ne résiste pas à la tentation de dénigrer « les peuples énervés du Midi » : « Chez un peuple si intrépide le gouvernement absolu étoit ignoré, l’on y étoit fortement attaché à la liberté qui a toûjours été le partage des pays du Nord, tandis que l’asservissement a été celui des peuples énervés du Midi ».

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Dans son remarquable livre La culture de Diderot, France Marchal attribue le mépris des peuples du Sud, que d'Holbach partage avec Diderot et Raynal, à l'un des « rares » préjugés de ... Montesquieu [1]. Ce préjugé aura de lourdes conséquences, puisqu'il mènera Napoléon Bonaparte à sous-estimer la capacité de résistance des Espagnols, ce qui donnera lieu finalement aux révolutions de 1810 en Amérique méridionale [2]. Mais revenons à ISLANDE et aux « maximes les plus remarquables » de l'Edda des Islandois :

« L’hôte qui vient chez vous a-t-il les genoux froids, donnez-lui du feu : celui qui a parcouru les montagnes a besoin de nourriture & de vêtemens bien séchés.

» Heureux celui qui s’attire la louange & la bienveillance des hommes ; car tout ce qui dépend de la volonté des autres, est hasardeux & incertain.

» Il n’y a point d’ami plus sûr en voyage qu’une grande prudence ; il n’y a point de provision plus agréable. Dans un lieu inconnu, la prudence vaut mieux que les trésors ; c’est elle qui nourrit le pauvre.

» Il n’y a rien de plus inutile aux fils du siecle, que de trop boire de biere ; plus un homme boit, plus il perd de raison. L’oiseau de l’oubli chante devant ceux qui s’enyvrent, & dérobe leur ame.

» L’homme dépourvu de sens, croit qu’il vivra toûjours s’il évite la guerre ; mais si les lances l’épargnent, la vieillesse ne lui fera point de quartier.

» L’homme gourmand mange sa propre mort ; & l’avidité de l’insensé est la risée du sage.

» Aimez vos amis, & ceux de vos amis ; mais ne favorisez pas l’ennemi de vos amis.

» Quand j’étois jeune, j’étois seul dans le monde ; il me sembloit que j’étois devenu riche quand j’avois trouvé un compagnon ; un homme fait plaisir à un autre homme.

» Qu’un homme soit sage moderément, & qu’il n’ait pas plus de prudence qu’il ne faut ; qu’il ne cherche point à savoir sa destinée, s’il veut dormir tranquile.

» Levez-vous matin si vous voulez vous enrichir ou vaincre un ennemi : le loup qui est couché ne gagne point de proie, ni l’homme qui dort de victoires.

» On m’invite à des festins lorsque je n’ai besoin que d’un déjeuner ; mon fidele ami est celui qui me donne un pain quand il n’en a que deux.

» Il vaut mieux vivre bien, que long-tems ; quand un homme allume son feu, la mort est chez lui avant qu’il soit éteint.

» Il vaut mieux avoir un fils tard que jamais : rarement voit-on des pierres sépulcrales élevées sur les tombeaux des morts par d’autres mains que celles de leurs fils.

» Les richesses passent comme un clin d’œil ; ce sont les plus inconstantes des amies. Les troupeaux périssent, les parens meurent ; les amis ne sont point immortels, vous mourrez vous-même : Je connois une seule chose qui ne meurt point, c’est le jugement qu’on porte des morts.

» Louez la beauté du jour, quand il est fini ; une femme, quand vous l’aurez connue ; une épée, quand vous l’aurez essayée ; une fille, quand elle sera mariée ; la glace, quand vous l’aurez traversée ; la biere, quand vous l’aurez bûe.

» Ne vous fiez pas aux paroles d’une fille, ni à celles que dit une femme ; car leurs cœurs ont été faits tels que la roue qui tourne ; la légereté a été mise dans leurs cœurs. Ne vous fiez ni à la glace d’un jour, ni à un serpent endormi, ni aux caresses de celles que vous devez épouser, ni à une épée rompue, ni au fils d’un homme puissant, ni à un champ nouvellement semé.

» La paix entre des femmes malignes est comme de vouloir faire marcher sur la glace un cheval qui ne seroit pas ferré, ou comme de se servir d’un cheval de deux ans, ou comme d’être dans une tempête avec un vaisseau sans gouvernail.

» Il n’y a point de maladie plus cruelle, que de n’être pas content de son sort.

» Ne découvrez jamais vos chagrins au méchant, car vous n’en recevrez aucun soulagement.

» Si vous avez un ami, visitez-le souvent ; le chemin se remplit d’herbes, & les arbres le couvrent bien-tôt, si l’on n’y passe sans cesse.

» Ne rompez jamais le premier avec votre ami ; la douleur ronge le cœur de celui qui n’a que lui-même à consulter.

» Il n’y a point d’homme vertueux qui n’ait quelque vice, ni de méchant quelque vertu.

» Ne vous moquez point du vieillard, ni de votre ayeul décrépit, il sort souvent des rides de la peau des paroles pleines de sens.

» Le feu chasse les maladies ; le chêne la strangurie ; la paille détruit les enchantemens ; les runes détruisent les imprécations ; la terre absorbe les inondations ; la mort éteint les haines ».

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[1] France Marchal. La culture de Diderot. Paris : Honoré Champion, 1999. 


[2] Voir à ce sujet Agustin Mackinlay : « Une "heureuse révolution dans les idées" : l'Histoire des deux Indes et l'indépendance de l'Amérique méridionale », Alvar de la Llosa & Thomas Gomez (ed.) L'indépendance de l'Amérique andine et l'Europe (1767-1840). Université Paris Ouest Nanterre La Défense, 2011.

Tuesday, September 17, 2013

MORE ON SCHUMPETER & HELVÉTIUS

AM | @HDI1780

"Le génie est commun" — Helvétius

Joseph Schumpeter, writes Erik Reinert, "was uniquely skilled in following the mental filiations of economic thought through history". And he adds: "Schumpeter's reluctance to state his own intellectual filiations makes him appear more unique to posterity than he really was" (*). That's exactly right! As readers of this blog know, I have been able to trace some of Schumpeter key insights on innovation  the phrases new combinations and creative destruction, the meaning of genius, and others to the work of Eigtheenth-century French philosophes.

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I'll come back to this story in further posts. Meanwhile, I leave you with the very eloquent first pages of Helvétius's De l'esprit, discours IV, chapitre 1:

Du Génie.

Beaucoup d’auteurs ont écrit sur le génie : la plupart l’ont considéré comme un feu, une inspiration, un enthousiasme divin ; & l’on a pris ces métaphores pour des définitions.

Quelque vagues que soient ces especes de définitions, la même raison cependant qui nous fait dire que le feu est chaud, & mettre au nombre de ses propriétés l’effet qu’il produit sur nous, a dû faire donner le nom de feu à toutes les idées & les sentimens propres à remuer nos passions, & à les allumer vivement en nous.

Peu d’hommes ont senti que ces métaphores, applicables à certaines especes de génie, tel que celui de la poësie ou de l’éloquence, ne l’étoient point à des génies de réflexion, tels que ceux de Locke & de Newton.

Pour avoir une définition exacte du mot génie, & généralement de tous les noms divers donnés à l’esprit, il faut s’élever à des idées plus générales ; &, pour cet effet, prêter une oreille extrêmement attentive aux jugemens du public.

Le public place également au rang des génies, les Descartes, les Newton, les Locke, les Montesquieu, les Corneille, les Moliere, &c. Le nom de génies qu’il donne à des hommes si différens suppose donc une qualité commune qui caractérise en eux le génie.

Pour reconnoître cette qualité, remontons jusqu’à l’étymologie du mot génie, puisque c’est communément dans ces étymologies que le public manifeste le plus clairement les idées qu’il attache aux mots.

Celui de génie dérive de gignere, gigno ; j’enfante, je produis ; il suppose toujours invention : & cette qualité est la seule qui appartienne à tous les génies différens.

Les inventions ou les découvertes sont de deux espèces. Il en est que nous devons au hasard ; telles sont la boussole, la poudre à canon, & généralement presque toutes les découvertes que nous avons faites dans les arts.

Il en est d’autres que nous devons au génie : &, par ce mot de découverte, on doit alors entendre une nouvelle combinaison, un rapport nouveau apperçu entre certains objets ou certaines idées. On obtient le titre d’homme de génie, si les idées qui résultent de ce rapport forment un grand ensemble, sont fécondes en vérités, et intéressantes pour l’humanité (I).

Or, c’est le hasard qui choisit presque toujours pour nous les sujets de nos méditations. Il a donc plus de part qu’on n’imagine aux succès des grands-hommes, puisqu’il leur fournit les sujets plus ou moins intéressans qu’ils traitent, & que c’est ce même hasard qui les fait naître dans un moment où ces grands-hommes peuvent faire époque.

(I) Le neuf & le singulier, dans les idées, ne suffit pas pour mériter le titre de génie ; il faut, de plus, que ces idées neuves soient ou belles, ou générales, ou extrêmement intéressantes.
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(*) Erik S. Reinert: "Steeped in Two Mind-Sets: Schumpeter in the Context of Two Canons of Economics" in Jürgen Backhaus (ed.) Jospeh Alois Schumpeter. Entrepreneurship, Style and Vision. Dordrecht: Kluivert, 2003, p. 262.

Sunday, September 15, 2013

RUTLAND


« ...au défaut d’équilibre entre les différentes autorités » — De Jaucourt

AM | @HDI1780

RUTLAND est un article étonnant. Cette « province méditerranée d’Angleterre, dans le diocese de Peterborough » fournit au Chevalier de Jaucourt l'excuse d'une intéressante biographie intellectuelle de James Harrington (1611-1677), l'auteur de Oceana, texte suivi de près par ceux qui s'intéressent à l'histoire du gouvernement mixte et de l'équilibre des pouvoirs. « Je me suis étendu contre ma coutume, sur cet ouvrage profond, parce qu’il est peu ou point connu des étrangers », annonce de Jaucourt. Excellente idée !

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De Jaucourt mentionne  « le recueil de tous les ouvrages de ce beau génie, paru à Londres en 1737, in-folio ; sur quoi, voyez biblioth. Britan. tom. IX. part. II. art. 10. » Il s'agit vraisemblablement de l'édition de John Toland, publiée en 1737, reproduite par Google Books [voir]. John Adams était un fervent lecteur de Harrington ; c'est dans l'Oceana qu'il puisera la fameuse expression "an empire of laws, and not of men." (1, 2). La brève synthèse du chevalier de Jaucourt est particulièrement utile, puisqu'elle renvoie à deux idées importantes de l'Histoire des deux Indes (*):

[1] Il n'y a pas de despotisme éclairé. « Il soutenoit que tant que la balance demeureroit inégale, il n’y a pas de prince qui pût être hors d’atteinte (quelqu’attentif qu’il fût à se rendre agréable au peuple), & que quoiqu’un bon roi pût ménager passablement les choses pendant sa vie, cela ne prouvoit point que le gouvernement fût bon, puisque sous un prince moins prudent, l’état ne pourroit manquer de tomber en desordre ; au lieu que dans un état bien réglé, les méchans deviennent gens de bien, & les fous se conduisent sagement. » Ceci ressemble assez à HDI 1780, xix.2, paragraphe 27.

[2] Il n'y pas d'autorité sans propriété. « Il est le premier qui ait prouvé que l’autorité suit la propriété, soit qu’elle réside entre les mains d’un seul, d’un petit nombre, ou de plusieurs ». Voici HDI 1780, xix.2, paragraphe 56 :  « ...la souveraineté illimitée ne peut avoir des sujets, parce qu’elle ne peut avoir des propriétaires; qu’on ne commande qu’à ceux qui ont quelque chose, & que l’autorité cesse sur ceux qui ne possèdent rien...» (texte de Diderot). 

(*) La pensée politique de James Harrington est également étudiée dans le contexte de l'interaction entre les sciences naturelles et les sciences sociales, thème cher à Diderot. Voir I. Bernard Cohen. Interactions between the natural sciences and the natural sciences. MIT Press, 1994.
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Monday, September 9, 2013

THE AJAX DILEMMA


AM | @HDI1780

"...une jurisprudence favorable aux débiteurs" — Raynal

Chapter 54 of Book XIII of Histoire des deux Indes (1780) contains one of the most important explanations of what I call the "institutional theory of credit markets" [see]. Raynal singles out the lack of credit as the key shortcoming of French colonial administration. (The idea, already present in the 1770 edition, had a tremendous impact on Adam Smith's Wealth of Nations). According to Raynal, grave deficiencies in the judiciary —he refers to justice asiatique, a clin d'oeil in the direction of François Bernier [see]— are to blame for the chronic scarcity of credit in the colonies.

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In the 1780 edition, Denis Diderot adds a passage from his Observations sur le Nakaz:

Mais la prospérité publique peut-elle augmenter, lorsqu’on foule aux pieds la justice; lorsque le ministère encourage la mauvaise foi en lui offrant un asyle sous la protection de la loi, car si la loi ne poursuit pas elle protège; [...] lorsque des emprunts, sans aucune sorte de garantie, seront devenus impossibles ou ruineux; lorsque le brigandage de l’usure s’exercera sans aucun frein qui le retienne; lorsqu’il n’y aura plus de crédit, ni au-dehors ni au-dedans de l’état...? (HDI 1780, xiii.54).

This is a version of one of the many dilemmas found in Sophocles' tragedy Ajax [1]. A powerful ruler will always be in a position to twist judicial decisions in his favor. (Agamemnon wants lo leave the body of Ajax unburied). But such behavior, in the end, is bound to have catastrophic consequences for ... the ruler himself. Now, my ancient Greek is (almost) non-existant. But I have little doubt that Diderot derived this idea from Odysseus' reply to Agamemnon, towards the end of Ajax:

Ἄκουέ νυν. Τὸν ἄνδρα τόνδε πρὸς θεῶν μὴ τλῇς ἄθαπτον ὧδ᾽ ἀναλγήτως βαλεῖν·μηδ᾽ ἡ βία σε ηδαμῶς νικησάτω τοσόνδε μισεῖν ὥστε τὴν δίκην πατεῖν. Écoutez-moi donc. Gardez-vous, au nom des Dieux, d'oser inhumainement priver cet homme des honneurs du tombeau. Ne vous laissez pas subjuguer par le sentiment de votre pouvoir ; qu'il n'aigrisse pas votre haine, jusqu'à vous faire fouler aux pieds la justice [2].

"Fouler aux pieds la justice"! Diderot is inserting one of Sophocles' dilemmas into a passage of Histoire des deux Indes on credit markets. There is, of course, much to be said about Diderot and his Greek and Roman sources — and even about his Biblical sources [see]. Maybe I'll venture in that direction some day. But let me finish this post with the following thought: Who ever said that Histoire des deux Indes was a mediocre book? Can't we see what's going on here? This is the work of a sublime genius!

Bravo Diderot! Bravo Raynal! Encore ! Encore !

[1] See Paul Woodruff. The Ajax Dilemma. Justice, Fairness and Rewards. Oxford University Press, 2011.

[2] M. de Rochefort. Théâtre de Sophocle. Paris: Nyon, 1788, p. 174. I have yet to find a French edition of Sophocles from the 1770s with Ulysses' words translated as fouler aux pieds la justice. This is my only doubt here. Diderot used this expression on many occasions. In this 1777 edition by M. Dupuis, Odysseus' reply is translated differently: "...n'ayez pas l'inhumanité d'empêcher qu'Ajax ne soit honoré de la sépulture. Que la haine n'aie pas assez d'empire sur vous, pour faire servir votre pouvoir à fouler les lois de l'équité" (p. 243). 
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