Thursday, December 27, 2012


SON PITTOR ANCH'IO: SÉNÈQUE-DIDEROT, OU DIDEROT-ATTALI
"Je ne veux pas qu'on mente devant la justice" Denis Diderot

AM | @HDI1780

Le Diderot de Jacques Attali ressemble énormément au Sénèque de Denis Diderot: voilà le principal mérite de Diderot ou le bonheur de penser (Paris : Fayard, 2012). Écrivain et conseiller politique de haut niveau, M. Attali se raconte lui-même à travers les 513 pages de cette étonnante biographie. Sénèque-Diderot ou Diderot-Attali: c'est là tout l'attrait du livre. Car l'auteur est particulièrement bien placé pour comprendre les émotions qui jalonnent la carrière de l'écrivain-conseiller jalousies sans fin, ambitions secrètes, attentes frustrées. Le Verbatim de l'ancien conseiller de François Mitterrand évoque le dialogue entre l'encyclopédiste et Catherine II, reproduit dans les Mélanges.

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Fasciné par son personnage, M. Attali avoue qu'il aurait « adoré avoir un ami comme lui ». Denis Diderot est présenté comme un « immense écrivain et un formidable penseur » ; son oeuvre est « une des plus extraordinaires aventures de l'esprit humain ». M. Attali va vite, très vite : les descriptions d'articles, d'ouvrages, d'amours et de voyages se succèdent à un rythme soutenu. Les idées vont dans toutes les directions : philosophie, économie, sexe, théâtre, anatomie, biologie et bien d'autres. Il en résulte un texte riche, fourmillant de pistes à suivre et de références à retenir. Le contexte global est toujours présent : l'essor de la Grande-Bretagne (« nouvelle superpuissance européenne »), le déclin relatif de la France et de la Chine, la Révolution outre-Atlantique.

L'aventure de l'Encyclopédie, racontée au présent, est une des parties les plus réussies du livre. Quelques vingt articles font l'objet de brefs commentaires, toujours très utiles. Et puis tous les personnages qui comptent sont au rendez-vous : Diderot père et frère, Toinette et les soeurs Volland, d'Holbach et Helvétius, les abbés Raynal et Galiani, les libraires Le Breton et Panckoucke, Damilaville et Voltaire, Catherine II et la princesse Dashkoff. Grimm et Rousseau sont les deux grands méchants. (Je ne suis pas un fan de Jean-Jacques, loin de là, mais tout le monde paraît s'acharner contre le citoyen de Genève : Michel Onfray, Jonathan Israel, Philipp Blom, María José Villaverde, et maintenant Jacques Attali...).

Mais il est un peu dangereux de vouloir aller trop vite. Sous la forme de répétitions et d'imprécisions parfois gênantes, M. Attali paye le prix de son rythme vertigineux. Claude-Adrien Helvétius est, paraît-il, un « obsedé sexuel ». Diderot ne l'aime pas. Soit. Mais à quoi bon le répéter ? Raynal est-il mort dans la misère ? Certainement pas. La Convention de Philadelphie, convoquée en novembre 1787 ? Il y a tout juste deux mois que ses travaux ont fini. Et puis on aimerait lire davantage d'analyse, en particulier sur le différend Voltaire-Diderot à propos du chancellier Maupeou (1771) et de l'importance attribuée à la « forme judiciaire ».

Je compte revenir, ici-même, sur certains aspects de Diderot ou le bonheur de penser. En attendant, M. Attali, qui vient de réussir un excellent portrait de l'encyclopédiste, pourra dire, à l'instar de son illustre personnage: Son pittor anch'io.
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Tuesday, December 25, 2012

L'ENCYCLOPÉDIE, RAYNAL & LE PARLEMENT
"L'usurpateur Cromwel" — Boucher d'Argis

AM | @HDI1780

À ajouter au dossier Raynal-Encyclopédie: les articles CHAMBRE BASSE ou CHAMBRE DES COMMUNES et CHAMBRE HAUTE DU PARLEMENT D'ANGLETERRE (1753) [voir], tous deux signés Antoine-Gaspard Boucher d'Argis, ne mentionnent qu'une seule source — l'Histoire du Parlement d'Angleterre de Guillaume-Thomas Raynal. À la fin du premier article, Boucher d'Argis écrit: Voyez l'Hist. du parl. d'Angleterre, par M. L. Raynal. Dans les deux cas, Cromwell (avec un seul « l »),  est considéré comme un usurpateur.

. Encyclopédie: « Si les deux chambres ne peuvent se concilier, leur délibération est nulle. Il faut aussi le consentement du roi. »

. Raynal: « Si les deux Chambres ne peuvent s'accorder, la déliberation est nulle. Leur consentement, quand même il seroit unanime, ne suffit pas sans celui du Roi. » (p. 360).

. Encyclopédie: « Les historiens d'Angleterre, en parlant du haut clergé & de la haute noblesse, font remonter l'origine du parlement jusqu'aux premiers successeurs de Guillaume le conquérant : mais le nom de parlement ne commença à être utilisé qu'à Oxford en 1248 ; & ce n'est qu'en 1264 qu'il est fait mention pour la première fois des communes...»

. Raynal: « ...le Parlement remonte jusqu'aux premiers successeurs de GUILLAUME le Conquérant. Si par le mot de Parlement, on n'entend que le nom même, il a commencé à Oxford en 1248. Mais si par Parlement, on entend une assemblée composée des trois Corps du Royaume,  il faut en fixer l'origine à l'évènement de 1264. » (p. 98).
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Wednesday, December 19, 2012

FRANKLIN VU PAR HOUDON ET ... FEUCHTWANGER
"Der Marmor sagte nicht die ganze Wahrheit" — Lion Feuchtwanger

AM | @HDI1780

En 1947, Lion Feuchtwanger publie Waffen für Amerika, un long roman historique sur les aventures parisiennes de Pierre Caron de Beaumarchais et de Benjamin Franklin pendant la Guerre pour l'indépendance des États-Unis. Tous les romans de Feuchtwanger portent deux titres: Der Amerikanische Emissär dans ce cas-ci. La liste des dramatis personae est imposante: Louis XVI, Marie-Antoinette et Joseph II; Vergennes et Maurepas; Franklin, Deane et Adams; Lafayette, Condorcet, Turgot et Mme Helvétius; Beaumarchais, sa soeur, sa femme, et ses contacts dans le monde des affaires.

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Je re-feuillète les deux tomes, sans trouver d'allusion à Guillaume-Thomas Raynal. Par contre, voici la réaction de Franklin lorsqu'il découvre son buste sculpté par Houdon (1779):

Die Büste war nicht groβ und beherrschte trotzdem das Zimmer. Sie war realistisch, der gebuckelte Schädel war da, die starken Furchen quer über der Stirn und die Nase erlang, das schwere Kinn, der groβe Sack des Doppelkins, die dicken Augenbrauen, die tiefen Falten unter den Augen. Es war der Benjamin Franklin, das Paris liebte und bewunderte. Welcher war der richtige Franklin?

Der marmorne mit seiner Klarheit und Reinheit? Oder der alte, gistische mit dem wuchernden, verwitternden Fleisch und dem Schorf und der Müdigkeit und der Wirrnis seines Innern? Der Marmor sagte nicht die ganze Wahrheit. Der Marmor log. Der alte Benjamin Franklin war keineswegs abgeklärt, keineswegs voll Hoheit und Würde. Er war voll von trüben Süchten und Leidenschaften.
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Saturday, December 15, 2012

FOUR SHORT LINKS
"Diderot sera probablement le seul philosophe des Lumières à voir son étoile grandir" — Jacques Attali

AM | @HDI1780

. Jacques Attali. J'ai acheté, à l'aéroport Charles de Gaulle (je suis maintenant à Buenos Aires), le livre de Jacques Attali Diderot ou le bonheur de penser (Paris: Fayard, 2012). Un défaut qui caractérise plusieurs études sur Diderot est le peu d'importance accordée à sa participation à l'Histoire des deux Indes (Lepape, Blom). Nous verrons bien: je n'en suis qu'à l'année 1760. En tout cas, le récit de M. Attali ne manque pas de rythme — un vrai plaisir à lire.

. Philipp Blom. I recently finished reading Philipp Blom's A Wicked Company. The Forgotten Radicalism of European Enlightenment (New York: Basic Books, 2010). I thouroughly enjoyed it. I have marked at least 21 passages as "sympa", my own particular way of selecting re-readable material. I don't agree with critics who argue against M. Blom's mix of biography and philosophy. In fact, I couldn't get enough of it! However, if we read the book from the perspective of Histoire des deux Indes, some serious problems emerge. Time permitting, I will deal with some of those issues in the blog.

. Maximilien Robespierre. ¡Otro libro netamente pro-Robespierre! Se trata de la monumental novela histórica de Javier García Sánchez. Robespierre (Barcelona: Galaxia Gutenberg, 2012). La trama comienza en 1792, lo que elimina el affaire Raynal de mayo de 1791. Decididamente, las acciones del Incorruptible están en alza: ver. Ver también Carlos Martínez Shaw: "El rostro sin cabeza de Robespierre", El País, 8 de diciembre de 2012.

. Kenta Ohji. Ann Thomson sur le livre Raynal et ses réseaux : « ...la longue étude très fouillée de Kenta Ohji, consacrée à "Raynal, Necker et la Compagnie des Indes" [...] montre de façon convaincante l’importance du débat autour de la Compagnie des Indes dans la genèse de l’oeuvre, les liens entre son auteur et Necker et leur évolution entre la première et troisième édition. Cet article constitue une contribution importante à la connaissance de l’oeuvre et de son insertion dans son contexte économique et politique. » [voir]. Tout à fait d'accord !
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Friday, December 7, 2012

1 SAMUEL 8
"Voyez dans la Bible le discours de Samuel au peuple" — Diderot

AM | @HDI1780

L'apostrophe aux Hottentots est l'un des textes les plus intéressants de l'Histoire des deux Indes. Le 16 septembre 1810, Mariano Moreno en fournit la première traduction espagnole dans les pages de la Gazeta de Buenos-Ayres. (En l'attribuant à Jean-Jacques Rousseau, en 1968, l'historien Enrique de Gandía contribuera au mythe de l'influence décisive de Rousseau sur le secrétaire de la Junte). Ce texte, qui ressemble par endroits au discours du vieillard tahitien dans le Supplément au Voyage de Bougainville, renvoie le lecteur au fragment de l'Ancien Testament qui leur sert d'inspiration: 1 Samuel 8.

Diderot pense au juge d'Israël lorsqu'il rédige ses Observations sur le Nakaz : « Voyez dans la Bible le discours de Samuel au peuple » (No. 74). Dès les années 1771-1772, il est à la recherche de textes portant sur les conséquences du gouvernement despotique. C'est pourquoi il relit Tacite et ... la Bible. En effet, Samuel décrit l'inévitable destruction de vie et de propriété qui découle de l'établissement de la monarchie. « Samuel fut devenu vieux », lit-on le vieillard tahitien est sa réincarnation. A noter l'emploi du futur dans les deux cas:

« ... ils se jetteront sur vos troupeaux ... » (HDI 1780, ii.18, p. 259) 
 
« Il prendra la dîme de vos troupeaux, et vous-mêmes serez ses esclaves. » (1 Samuel 8)
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« ...ils corromperont vos femmes... » (HDI 1780, ii.18, p. 259)
 
« Il prendra vos filles...» (1 Samuel 8)
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«...usurper vos champs..» (HDI 1780, ii.18, p. 259)

« Vos champs, vos vignes, et vos oliviers les meilleurs, il les prendra...» (1 Samuel 8)

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