Wednesday, March 14, 2012

LA CHINE & 'L'ESPRIT D'INVENTION'
"Quel fruit espérer d'un exercice si contraire à la nature?" — Diderot 

AM | @agumack

La lecture du Financial Times est pour moi un must; c'est une source d'information indispensable pour mes cours d'économie politique. Jamil Anderlini, journaliste à Shanghai, publie un très intéressant article sur les problèmes de la Chine en matière d'innovation. Le titre en dit long: "Autocratic directives fail to spark creativity" [1]. La censure, la lenteur d'internet (afin de mieux surveiller la population), la corruption, le manque de transparence: voilà autant de difficultés pour les innovateurs.

N'est-ce pas exactement ce qu'anticipait l'Histoire des deux Indes? Raynal se demande si la préoccupation pour la stabilité, endémique chez les chinois, ne va pas à l'encontre de l'esprit d'invention: "Un respect outré pour l'antiquité, les asservit à tout ce qui est établi. Toutes ces causes réunies ont dû ôtér aux Chinois l'esprit d'invention. Il leur faut des siècles pour inventer quelque chose" (HDI 1780, i.20, p. 143). Diderot va plus loin. D'emblée, il constate que le savoir abstrait y est mal vu, à cause de l'excès de population:

...c'est le peu de progrès des sciences & des arts, depuis l'époque très éloignée qu'on les y cultive. Les recherches s'y sont arrétées au point où, cessant d'être utiles, elles commencent à devenir curieuses. Il y a plus de profit à l'invention du plus petit art pratique, qu'à la plus sublime découverte qui ne montreroit que du génie. On fait plus de cas de celui qui sait tirer parti des recoupes de la gaze, que de celui qui résoudroit le problème des trois corps.

Puis il se déchaîne contre le despotisme chinois, la véritable cause du manque de "lumières" (HDI 1780, i.21). Les inconvénients se suivent et se ressemblent: failles du système éducatif et judiciaire ("...la connaissance de la langue est le dernier terme de la science... la justice est d'une vénalité sans exemple..."), manque d'honnêteté des commerçants, etc. Bref, les arguments de Voltaire et des physiocrates en faveur de la Chine le laisseront indifférent, à moins que:

...on nous apporte de Pekin des ouvrages de philosophie supérieurs à ceux de Descartes & de Locke; des traités de mathématique à placer à coté de ceux de Newton, de Leibnitz & de leurs successeurs; des morceaux de poésie, d'éloquence, de littérature & d'érudition que nos grands écrivains daignent lire, & dont ils soient forcés d'avouer la profondeur, la grace, le goût & la finesse; [...] des instruments de physique, des machines où notre infériorité soit bien démontrée [2].

[1] Financial Times, 26 octobre 2011.

[2] A propos des "machines", voici justement M. Anderlini: "...some top Chinese scientists were quick to dismiss the invention of Tianhe-1, the world's fastest supercomputer, as little more a than propaganda stunt and it soon emerged that almostall the chips used to build the machine were made by Intel and Nvidia, a US computer animation company".
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