AM | @HDI1780
Je suis frappé, en lisant Condorcet, par l'importance qu'il attribue à la notion d'indépendance. (J'écris ces lignes à la hâte, et j'aurai sûrement l'occasion de revenir sur cette question). Pour s'en convaincre, il suffit de charger le moteur de recherche de Google Books sur cette édition de l'Esquisse (1795) avec les mots « indépendance, indépendant, indépendante » :
...les progrès de [la] perfectibilité [de l'homme], désormais indépendante de toute puissance qui voudroit les arrêter, n'ont d'autre terme que la durée du globe dans lequel la nature nous a jetés (p. 4) [...] laissoit à l'esprit humain, chez les Grecs, une indépendance, garant assuré de la rapidité et de l'étendue de ses progrès (p. 71) [...] cette opinion d'une idée éternelle du juste, du beau, de l'honnête, indépendante de l'intérêt des hommes... (p. 107)
Et ainsi de suite. N'oublions pas que Condorcet annonce ici « l'indépendance du nouveau monde » (p. 314) qui devrait avoir lieu « bientôt » — ce qui ne manquera pas de frapper les lecteurs du Río de la Plata comme Mariano Moreno, un de ses premiers traducteurs à l'espagnol. Un autre texte où la notion d'indépendance revient à de nombreuses reprises est le Rapport sur l'instruction publique (avril 1792):
...les établissements que la puissance publique y consacre doivent être aussi indépendants qu'il est possible de toute autorité politique ; et comme, néanmoins, cette indépendance ne peut être absolue, il résulte du même principe, qu'il faut ne les rendre dépendants que de l'Assemblée des représentants du peuple, parce que, de tous les pouvoirs, il est le moins corruptible, le plus éloigné d'être entraîné par des intérêts particuliers, le moins ennemi du progrès des lumières.
En fait, dans tous ses écrits, Condorcet souligne, d'une manière ou d'une autre, l'importance de l'indépendance. Une hypothèse : c'est l'étude des mathématiques qui lui insuffla ce goût de l'indépendance. Dans une addition à l'article INTÉGRAL (CALCUL) de d'Alembert, publiée dans le tome 18 de l'édition de 1788 de l'Encyclopédie, il écrit : « M. d'Alembert est le premier qui ait donné d'une maniere rigoureuse & indépendante de toute hypothèse arbitraire les loix du mouvement des corps dont chaque partie est animée de forces différentes » (p. 887).
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Tout ceci est, à mon avis, d'une importance capitale. Car ces idées-là seront reprises, en pleine Révolution, au sujet de l'indépendance de la justice et de l'indépendance de ... la banque centrale ! Bien sûr, il n'y a pas encore de banque centrale, mais dès 1790 Condorcet plaide pour l'indépendance de l'institution financière chargée d'émettre le papier-monnaie :
Moins une nation a de crédit, plus une banque est obligée d'en avoir un qui soit indépendant ; et que par conséquent plus une nation peut avoir besoin de se servir d'une banque, plus il est important que les affaires de cette banque soient séparées des affaires publiques... Une banque ne doit, ne peut jamais être un établissement national (*).
(*) « Sur les opérations nécessaires pour rétablir les finances », 1790, Œuvres complètes de Condorcet, Vol. 30. Paris: Henrichs, 1804, p. 44. Voir aussi, à ce sujet, les remarques de Elisabeth et Robert Badinter. Condorcet (1743-1794). Un intellectuel en politique. Paris : Fayard, 1988.
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