Monday, July 16, 2012

EDMUND BURKE & HISTOIRE DES DEUX INDES
"Regicide Republick" — Edmund Burke

AM | @HDI1780

While reading Dermot Ryan's excellent article on Edmund Burke and the "Republic of Letters" (*), I stumbled upon this remarkable passage:

Comparing the constitutional experiments of the National Assembly to the sorcery of Medea, Reflections had cast the Republican constitution as a form of depraved reanimation: "[W]e are taught to look with horror on those children of their country who are prompt rashly to hack that aged parent in pieces and put him into a kettle of magicians, in hopes that by their poisonous weeds and wild incantations they may regenerate the paternal constitution and renovate their father's life" (p. 9).

I take these lines as convincing proof that Burke read the third edition of Histoire des deux Indes, which features one of the most explosive statements of the whole book: "Une nation ne se régénère que dans un bain de sang. C'est l'image du viel Aeson, à qui Médée ne rendit la jeunesse qu'en le dépeçant & en le faisant bouillir ... Il semble que se soit l'ouvrage d'une longue suite de révolutions" (HDI 1780, xi.4, pp. 23-24). Clearly, Burke was struck by what had already become one of the rallying cries of the French Revolution: the notion of régénération.

This rhetorical élan, I venture to suggest in my book, was Diderot's dialectical counterpoise to Raynal's sometimes absurd views on human 'degeneracy' in the New World. Régénération vs. dégénération! But it was a risky move, to say the least [see]. Burke understood this from the get-go.

(*) Dermot Ryan: "A New Description of Empire: Edmund Burke and the Regicide Republic of Letters",
Eighteenth-Century Studies. Vol. 44, Number 1, Fall 2010. On Burke and Raynal, see Gianluigi Goggi: "Le voyage de Raynal en Angleterre et en Hollande", Recherches sur Diderot et sur l'Encyclopédie, Vol. 3, Numéro 3, 1987, pp. 86-117.
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Friday, July 13, 2012


GOUVERNEMENT MIXTE (III)
"...the impossibility of bridging Radical Enlightenment and moderate Enlightenment" — Jonathan Israel

AM | @HDI1780

Les coups de feu qui éclatent à Lexington et Concord, le 19 avril 1775, résonnent, selon la belle image de l'historien James Flexner, des deux côtés de l'Atlantique. Du jour au lendemain, l'Histoire des deux Indes prend un coup de vieux. L'esprit républicain avance maintenant à toute vitesse — Raynal doit modifier (entre beaucoup d'autres) les textes sur le gouvernement mixte. Dans l'édition de 1780, le paragraphe d'Alexandre Deleyre sur "le gouvernement mixte des Anglois" est corrigé; les avantages de ce système de gouvernement, présentés comme universellement valides en 1774, deviennent relatifs et limités à un contexte géographique très particulier (les îles britanniques).

Dans le Livre XVIII, dédié en partie à la Révolution de l'Amérique, Diderot met en garde contre l'instabilité inhérente du gouvernement anglais: "...& il est impossible que vous Anglais, qui avez subi successivement tant de révolutions différentes dans votre constitution politique, ballotés de la monarchie à la tyrannie, de la tyrannie à l'aristocratie, de l'aristocratie à la démocratie, de la démocratie à l'anarchie..." (HDI 1780, xviii.42, p. 225). Voilà bien les catégories du gouvernment mixte selon Polybe, même si quelques uns de ses éléments sont laissés de côté, comme le passage de l'aristocratie à l'oligarchie, et de cette dernière à la démocratie. Mais les évènements outre-Atlantique suffisent-ils pour expliquer l'essor de l'esprit républicain à partir de 1775-1777 ? Relisons Jonathan Israel (*):

The Delisle affair (which unmasked the corrupt state of the law and the irrationality of justice under the crown), converging as it did with Turgot's dismissal from government in 1776, and the final illness and death of Voltaire soon afterwards, marked the turn at which the French and general moderate mainstream Enlightenment began its retreat to humiliation and failure. The increasingly reactionnary stance of Louis XVI's regime, after 1776, and the deeply onimous Olavide trial in Spain (1776), together with the reaction in Denmark-Norway after 1771, the unwillingness of Frederick any longer to support Enlightenment in any guise, and Catherine's abandonment of her law reforms after the Pugachev rebellion and her reversion to harsh methods of repression, spelt the effective end, the running into the sands, of Voltaire's and d'Alembert's Enlightenment.

La disgrâce de Turgot, les procès de Delisle de Sales et d'Olavide, la répression de Catherine II, l'entrée en scène de Washington et les siens: voilà autant d'évenements qui expliquent la montée en puissance de l'idée républicaine au moment même où Raynal commence à méditer la nécessité d'une troisième édition de l'Histoire des deux Indes.

(*) Jonathan Israel. Democratic Enlightenment. Philosophy, Revolution, and Human Rights, 1750-1790 (New York: Oxford University Press, 2011), pp. 682-683 [info].
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Thursday, July 12, 2012

GOUVERNEMENT MIXTE (II)
"...the impulse and sympathy of the passions" — James Madison

AM | @HDI1780

Pourquoi Diderot modifie-t-il le texte de Deleyre sur le gouvernement mixte ? [voir]. Voici une hypothèse: les années 1775-1777 accelèrent l'avènement d'une nouvelle culture politique — le républicanisme. La Révolution d'Amérique, la disgrâce de Turgot, la victoire de Saratoga (entre autres évènements), contribuent à l'essor de ce que l'Histoire des deux Indes appelle l' « esprit républicain » (HDI 1780, xiv.3). Cet esprit républicain ne s'oppose pas, bien entendu, à la nécessité d'une division du pouvoir (expression de Simone Goyard-Fabre).

Par contre, le découpage artificiel de la société est jugé incompatible avec la nouvelle culture politique. Les catégories grecques du gouvernement mixte —monarchie, aristocratie, démocratie— sont d'ores en avant considérées comme les reliques obsolètes d'un temps heureusement révolu. Il est fascinant de constater que les différentes éditions de l'Histoire des deux Indes, qui couvrent la décennie 1770-1780, enregistrent —par le biais de modifications plus ou moins subtiles [voir]— les progrès de l'esprit républicain. Voilà pourquoi Diderot réécrit le Livre XIX !

* * *

Prenons quatre lecteurs de l'Histoire des deux Indes: John Adams, Gaspar de Jovellanos, James Madison et Mariano Moreno. Les deux premiers se maintiennent fidèles à l'idée du gouvernement mixte; ils essuyeront de graves défaites politiques. Plus jeunes, Madison et Moreno se laissent entraîner par la foudroyante entrée en scène du républicanisme. Tous deux vantent le principal mérite du gouvernement mixte (la division du pouvoir), mais ils se gardent bien de mentionner ce que les Espagnols appellaient les « estamentos sociales ». Des génies politiques ! (*). J'aurai l'occasion de revenir sur Adams, Jovellanos, Madison et Moreno.

Je finis avec la magnifique lettre de Madison à Adams, qui — en 1817 ! — n'avait toujours pas saisi la portée des nouvelles idées:

The great question now to be decided, and it is one in which humanity is more deeply interested than in any political experiment yet made, is, whether checks and balances sufficient for the purposes of order, justice, and the general good, may not be created by a proper division and distribution of power among different bodies, differently constituted, but all deriving their existence from the elective principle, and bound by a responsible tenure of their trusts.

(*) En 1787-1788, Madison parle encore de mixed government, mais entre les États et le gouvernement fédéral. Quant à Moreno, il évite soigneusement les termes « monarquía » et « aristocracia » [voir].
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Wednesday, July 11, 2012

GOUVERNEMENT MIXTE (I)
"Des révolutions fréquentes agitérent l'Etat" — Raynal

AM | @HDI1780

Raynal n'aime pas le gouvernement mixte. Dans l'Histoire du Parlement d'Angleterre (1750), ce système de gouvernement mélange de monarchie, d'aristocratie et de démocratie idéalisé par l'historien grec Polybeest particulièrement mal vu: "Leur gouvernement ne fut ni Monarchique, ni Aristocratique, ni Démocratique; c'étoit un composé bizarre de tous les trois ... Les Anglo-Saxons se trompérent, en imaginant que leur Police seroit plus parfaite, à mesure qu'elle seroit plus partagée. L'expérience de tous les tems leur auroit dû apprendre que cette politique, au lieu des avantages des trois gouvernemens, n'en rassemble que les inconvéniens" (p. 12).

Le Livre VI de Polybe à l'envers ! C'est Alexandre Deleyre qui, sous l'influence de la Constitution de l'Angleterre (1771) de Jean-Louis DeLolme, fera l'éloge de la mikté politéia pour le compte de l'Histoire des deux Indes (HDI 1780, xix.2, pp. 74-75) (*):

Le gouvernement placé entre la monarchie absolue, qui est une tyrannie; la démocratie, qui penche à l'anarchie; et l'aristocratie, qui, flottant de l'une à l'autre, tombe dans les écueils de toutes les deux : le gouvernement mixte des Anglois, saisissant les avantages de ces trois pouvoirs qui s'observent, se tempèrent, s'entraident & se répriment, va de lui-même au bien national. Par leur action, par leur réaction, ses différents ressorts forment un équilibre d'où naît la liberté.

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Ce texte sera repris de façon magistrale en 1810 par Mariano Moreno dans la Gazeta de Buenos-Ayres, en pleine Révolution du Río de la Plata [voir]. Mais il avait été modifié, peut-être par Diderot, qui avait réécrit (en partie) le Livre XIX. Dans le Tableau de l'Europe, Deleyre remarque: "Cette constitution, qui, sans exemple dans l'antiquité, devroit servir de modèle à la postérité, se soutiendra long-temps, parce qu'elle n'est pas l'ouvrage des moeurs, & des opinions passageres, mais du raisonnement & de l'expérience" (p. 23).

Dans l'édition de 1780, le gouvernement mixte n'est possible que sous certaines conditions géographiques (une île): "Cette constitution qui, sans exemple dans l'antiquité, devroit servir de modèle à tous les peuples auxquels leur position géographique leur permettroit, durera long-tems; parce qu'à son origine, ouvrage des troubles, des moeurs & des opinions passagères, elle est devenue celui de la raison & de l'expérience" (p. 75). Ce subtil changement démontre la perte de popularité de la constitution mixte, à quelques années seulement de la Révolution.

(*) Voir David Lieberman. "The mixed constitution and the common law." The Cambridge History of Eighteenth-Century Political Thought. Eds. Mark Goldie and Robert Wokler. Cambridge University Press, 2006. Cambridge Histories Online. Cambridge University Press. 11 July 2012 DOI:10.1017/CHOL9780521374224.013
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Tuesday, July 10, 2012

A FEW LINKS ...

AM | @HDI1780

- Les papiers de Guillaume-Thomas Raynal. Important news from Société d'Etude Guillaume-Thomas Raynal! Their website now posts seven unpublished volumes of papers from Raynal:

.Tome I. Papiers personnels;

. Tome II. Instruction sur le commerce;

. Tome III. Mémoires sur la Compagnie d'Afrique;

. Tome IV. Mémoires sur les protestants;

. Tome V. Histoire des guerres;

. Tome VI. Guerres du Nord;

. Tome VII. Extraits divers sur la religion, la politique, les beaux-arts et l'histoire.
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- Bibliography. Thanks to Benoît Melançon [Blog, Twitter] for letting us know about XVIIIe siècle : bibliographie (ISSN : 1207-7461), Numéro 216, 10 juillet 2012. See especially: Albertan-Coppola, Sylviane, «Des récits des voyageurs à l’Histoire générale des voyages : la représentation des Africaines», Dix-huitième siècle, 44, 2012, p. 165-188; Curran, Andrew, «Buffon et l’histoire naturelle des Africains», Dix-huitième siècle, p. 183-199; Cussac, Hélène, «Bernardin de Saint-Pierre lecteur de récits de voyages, ou la circulation de quelques savoirs sur l’Afrique du 17e au 18e siècle», Dix-huitième siècle, 44, p. 201-219; Diderot, Denis, Le Neveu de Rameau, Les Éditions de Londres, 2012; Diop, David, Patrick Graille et Izabella Zatorska, «Introduction [au dossier «L’Afrique»]», Dix-huitième siècle, p. 5-26; Herencia, Bernard, «Le séjour du physiocrate Lemercier de la Rivière en Russie. 1767- 1768», Dix-huitième siècle, p. 621-658; Seck, Ibrahim, «Les Français et la traite des esclaves en Sénégambie», Dix-huitième siècle, p. 49-60.
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- RT. An RT by Joshua Kirby (@SpandexThunder): "Le vol ne fut connu de ces sauvages, qu’à l’arrivée des Européens." (Histoire des deux Indes, 1780, Livre X, chapitre 10, les Caraïbes; @HDI1780). Thanks!
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Monday, July 9, 2012

HERMÈS
"Raynal évoque directement Caton ou Scipion" — Guilhem Scherf

AM | @HDI1780

Gilles Bancarel, biographe de Raynal et président de la Société d'Étude Guillaume-Thomas Raynal, a l'amabilité  de nous envoyer cette photographie: « Ce week-end, je me suis rendu à St Geniez village de la famille Raynal en Rouergue pour ramener une moisson de photographies, malgré la pluie. Je te joins le buste de Raynal par Espercieux qui est conservé dans la salle du Conseil municipal de la ville appelée salle des illustres où sont présents toutes les célébrités de la commune ».

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L'histoire de ce buste en marbre nous est contée par Guilhem Scherf (*). Il fut taillé en 1837 par Jean-Jospeh Espercieux (1757-1840) d'après un modèle de 1790 ; l'écrivain et l'artiste s'étaient connus, cette année-là, à Marseille. Le portrait porte l'inscription suivante: « fait d'après nature à Marseille /en 1790 par son ami Espercieux ». Voici Mr. Scherf:

Le buste d'Espercieux [celui de 1790, aujourd'hui disparu] fut montré au Salon de 1796, année de la mort de Raynal. Il s'agit très vraisemblablement du plâtre, moulé sur le modèle en terre, que le sculpteur offrit au musée des Monuments français après la fermeture de l'exposition, et qui fut reproduit par Girodet sur son protrait de Jean-Baptiste Belley (montré à l' exposition de l'Elysée en 1797, puis au Salon de 1798). Le tableau de Girodet était un hommage à Raynal, « tribut de la reconnaissance que les hommes de couleur doivent au premier apôtre de la liberté des Américains », selon les termes du livret de 1797.

Une dernière précision: la composition du buste est dite en hermès, avec deux angles droits à la base. « La connotation symbolique du buste en hermès », ajoute Mr. Scherf, « est ainsi clairement indiquée: support de vérité, il sert de guide ... La composition en hermès, avec la rigidité de l'angle droit, l'expression sans passion du visage aux yeux blancs ni creusés, ni même incisés sont une recréation quasi archéologique d'un buste de la république romaine. Raynal évoque directemente Caton ou Scipion ».

(*) Guilhem Scherf: « Stratégies de représentation : portraits sculptés de Voltaire, Diderot et Raynal », in Gilles Bancarel (ed.) Raynal et ses réseaux. Paris: Honoré Champion, 2011 [info], pp. 53-68.
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Friday, July 6, 2012

ÉLIE DE BEAUMONT
"...la foi publique mere du crédit" — Élie de Beaumont

AM | @HDI1780

Thanks to the indispensable help of Google Books, I have found yet another Eighteenth-century document on the 'institutional theory' of credit markets: the June 1771 Lettre sur l'état actuel du crédit du gouvernement en France, published by lawyer Jean-Baptiste Jacques Élie de Beaumont (1732-1786) [wiki] (*). The context is important: Maupeou's judicial coup has just taken place, and the Parlements are on the brink of open rebellion.

Meanwhile, Diderot has penned his remarquable letter to Princess Dashkoff on the importance of (what we would now call) 'judicial independence' [see]. It is interesting to note that Beaumont mentions "les deux Indes" (p. 27). More importantly, he establishes a clear link between the risk of despotic government and market perceptions about the stability of property rights, with grave (potential) consequences on the supply of credit.

This idea, it goes without saying, features prominently in Histoire des deux Indes. Here's Élie de Beaumont: "C'est détruire l'autorité, que de vouloir la rendre arbitraire, illimitée; parce qu'alors on lui ôte sa principale base, la confiance publique" (p. 32). Alexandre Deleyre uses the same words to describe the effects of a public bankrupcy: "Alors est perdue sans retour la base de tous les gouvernemens, la confiance publique" (HDI 1780, xix.11). There are many more important paralells between Maupeouana, Beaumont and Histoire des deux Indes.

(*) Maupeouana, Vol. 4. Paris: 1775, pp. 13-47 [see].
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Thursday, July 5, 2012

ÉGALITÉ
"...cette honorable égalité" — Raynal

AM | @HDI1780

In 2011, Gilles Bancarel, Raynal biographer and chairman of Société d'Etude Guillaume-Thomas Raynal, edited the volume Raynal et ses réseaux (*). One of the most interesting aspects of the book is the wide range of perspectives provided by scholars with different affiliations. Thus Guilhem Scherf, from Département des Sculptures at Musée du Louvre in Paris, writes about portraits and sculptures of Voltaire, Diderot and Raynal. A line in Mr. Scherf's article has caught my attention: in his brief discussion of the well-known 1797 portrait of Jean-Baptiste Belley by Girodet [picture], he states that "Le buste blanc de Raynal s'y trouve à égalité avec la tête noire du député antillais, libéré de l'esclavage aboli en 1794" (p. 64).

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That's true: the heads of the two men are on the same level — I hadn't paid attention to this fact before. (It pays to have someone on board who knows about painting and sculpture: bravo, Mr. Bancarel!) But what does Histoire des deux Indes really tell us about égalité? Some passages are very eloquent indeed:

...cet esprit d’égalité qui est l’ame du gouvernement républicain (x.16); Les hommes étoient tous égaux: mais cette égalité naturelle ne dura pas long-tems. (xi.24); ... cet orgueil qu’on doit haïr en Europe, où plus d’égalité entre les hommes, leur apprend à se respecter davantage (xi.31); ... la loi de l’égalité, qui semble dictée par la nature même; qui se présente la première au cœur de l’homme juste & bon (xiii.53); ...l’amour de l’indépendance, qui, éclairé par la raison, produit en nous celui de l’égalité (xvi.4); ...nous n’aspirons qu’à l’honneur de l’égalité. Cette gloire nous suffit (xviii.43).

One of the key reasons for the success of Histoire des deux Indes in South America lies in its uncompromising stance againt the artificial privileges of rank and aristocracy, well rendered in a passage on the "sauvages qui habitoient le Canada":

Mais ce qui leur semble une bassesse, un avilissement au-dessous de la stupidité des bêtes; c’est que des hommes, qui sont égaux par la nature, se dégradent jusqu’à dépendre des volontés ou des caprices d’un seul homme. Le respect que nous avons pour les titres, les dignités, & sur-tout pour la noblesse héréditaire, ils l’appellent insulte, outrage pour l’espèce humaine (xvi.4).

But Raynal and Diderot also recognize that individuals are, as Jonathan Israel puts it, "infiniteley diverse and divergent in their physiological and emotional make-up". And that leads us directly to chapter 42 of Book XVIII, where Diderot writes the lines that ultimately inspired James Madison's Federalist No. 10 [see]:

Il y a entre les hommes une inégalité originelle à laquelle rien ne peut remédier. Il faut qu’elle dure éternellement; & tout ce qu’on peut obtenir de la meilleure législation, ce n’est pas de la détruire; c’est d’en empêcher les abus ... Que les fondateurs des nations, que les législateurs se sont-ils donc proposé? D’obvier à tous les désastres de ce germe développé, par une sorte d’égalité artificielle, qui soumît sans exception les membres d’une société à une seule autorité impartiale. C’est un glaive qui se promène indistinctement sur toutes les têtes. (xviii.42).

(*) Gilles Bancarel (ed.) Raynal et ses réseaux. Paris: Honoré Champion, 2011 [info].
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Monday, July 2, 2012

THE ORIGINS OF AN IDEA (THE GENIUS OF FRANÇOIS BERNIER, III)
"This whole Chapter of Bernier deserves every Man’s Reading" — Trenchard & Gordon

AM | @HDI1780

As I have stated many times in the blog, and as I try to explain in the book, the 'institutional theory' of credit markets is the cornerstone of Guillaume-Thomas Raynal's political economy. The idea is simple: without a rule of law, property rights are unstable and the supply of credit contracts, thus leading to high interest rates and to low volumes of trade (and to very little innovation). But what are its origins? Prior to my 'discovery' of François Bernier, I had always thought that John Trenchard and  Thomas Gordon, the authors of Cato's Letters, had pioneered the link between governance and credit that Montesquieu and others subsequently took up.

But I changed my mind last week. By pure coincidence, I came across the article "Liberté politique" in volume 23 of M. Robinet's Dictionnaire universel des sciences morale, économique, politique et diplomatique; ou Bibliothèque de l'homme-d'état et du citoyen, 1782 (pp. 208-226). It contains the very interesting Réfléxions d'un Anglois sur la nature, l'étendue & les avantages de la Liberté civile, a translation of Cato's Letter No. 67, published on February 24, 1721. It turns out that Trenchard and Gordon derive their ideas from ... François Bernier! (*)

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Obviously, I hadn't noticed that when I first read No. 67. In Vol. II of the 1723 edition of Cato's Letters, the Frenchman is introduced as "the great and judicious traveller Monsieur Tavernier" (p. 143). The mistake is corrected in subsequent editions. To their credit, Gordon and Trenchard provide a "summary Account" of the last chapter of the History of the Great Mogul (the "Lettre à Monseigneur Colbert", which I plan to publish in the blog). I am beginning to suspect that Histoire des deux Indes owes much to Trenchard and Gordon and their fine reworking of Bernier. Here are the relevant passages:

There People will dare to own their being rich; there will be most People bred up to Trade, and Trade and traders will be most respected; and there the Interest of Money will be lower, and the Security of possessing it greater, than it ever can be in Tyrannical Governments, where Life and Property and all Things must depend upon the Humour of a Prince, the Caprice of a Minister, or the Demand of a Harlot. Under those Governments few People can have Money, and they that have must lock it up, or bury it to keep it; and dare not engage in large Designs, when the Advantages may be reaped by their rapacious Governors, or given up by them in a senseless and wicked Treaty: Besides, such Governors condemn Trade and Artificers; and only Men of the Sword, who have an Interest incompatible with Trade, are encouraged by them.

For these Reasons, Trade cannot be carried on so cheap as in free Countries; and whoever supplies the Commodity cheapest, will command the Market. In free Countries, Men bring out their Money for their Use, Pleasure, and Profit, and think of all Ways to employ it for their Interest and Advantage. New Projects are every day invented, new Trades searched after, new Manufactures set up; and when Tradesmen have nothing to fear but from those whom they trust, Credit will run high, and they will venture in Trade for many times as much as they are worth: But in arbitrary Countries, Men in Trade are every moment liable to be undone, without the Guilt of Sea or Wind, without the folly or treachery of their Correspondents, or their own want of Care or Industry [...].

Here's the French version. Note the term grandes entreprises, often used by Raynal and Diderot (HDI 1780, x.10; xiii.8; xvii.8; xvii.30):

C'est là que les habitans oseront se vanter de leurs richesses ; c'est là qu'on formera la jeunesse au commerce ; & que le négoce & les négocians seront en honneur ; c'est là que les intérêts de l'argent seront plus bas, parce que chaque particulier jouira d'une plus grande sureté dans ses possessions ; au-lieu que dans les Etats tyranniques, la vie, la propriété des sujets, toutes choses, en un mot, dépendent de l'humeur d'un prince, du caprice d'un ministre ou de la demande d'une courtisane. Sous ces gouvernemens, il est rare que le peuple ait de l'argent, & ceux qui en ont ne le perdent jamais de vue, ou l'ensevelissent afin de le mieux garder ; on ne forme pas de grandes entreprises, sur-tout quand on se doute que les avantages qu'on en retireroit pourroit exciter la rapacité des gouverneurs ; ou que l'on prévoit qu'ils n'auroient nul égard à la sainteté des traités. Il n'est que trop ordinaire d'ailleurs, que les gouverneurs ayent du mépris pour les commerçans & les artistes.

On ne considère que les hommes d'épée, dont l'intérêt est incompatible avec le commerce. C'est pour ces raisons que les négocians ne s'appliquent point à leur métier avec autant de satisfaction que dans les pays libres. Dans les pays libres, on dépense son argent pour son usage, son plaisir ou son profit. On cherche tous les moyens de l'employer utilement & à son avantage. On invente chaque jour de nouveaux projets ; on imagine de nouvelles branches de commerce ; on établit de nouvelles manufactures. Quand les commerçans n'ont rien à craindre, si ce n'est de la part de ceux à qui ils confient leurs marchandises, le crédit ne peut manquer d'aller haut ; & chacun tâchera de se maintenir dans le commerce aussi long-temps qu'il le pourra. Mais dans un gouvernement arbitraire, le commerce est sujet à des révolutions bien plus dangereuses que la mer & les tempêtes. Sans rien craindre de leur correspondans, les négocians ne seront jamais certains de recueillir le fruit de leurs veilles & de leurs soins, ni l'artisan celui de son industrie.

(*) John Dryden's Restoration drama Aureng-zebe (1675) did much to promote Bernier's popularity in England.
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Thursday, June 28, 2012

JEAN-JACQUES & L'HISTOIRE DES DEUX INDES (IV): LA VOLONTÉ GÉNÉRALE
"It was a rift which extended to the role of legislation" — Jonathan Israel

AM | @HDI1780

La notion de "volonté générale" revient à plusieurs reprises dans l'Histoire des deux Indes. Raynal écrit, à propos des "sauvages qui habitoient le Canada": "La volonté générale n’y assujettissoit pas même la volonté particulière" (HDI 1780, xvi.6). Alexandre Deleyre reprend le terme dans le Tableau de l'Europe: "Le meilleur des princes, qui auroit fait le bien contre la volonté générale, seroit criminel, par la seule raison qu’il auroit outrepassé ses droits ... Peuples, ne permettez donc pas à vos prètendus maîtres de faire, même le bien, contre votre volonté générale" (HDI 1780, xix.2). Parmi les auteurs modernes qui ont écrit sur les différences entre les Lumières radicales et Rousseau à propos de la "volonté générale", je signalerai Colas Duflo (*) et Jonathan Israel.

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Malheureusement, je n'ai pas le livre de M. Duflo ici. Voici donc un extrait du chapitre "Rousseau, Spinoza and the General Will" du livre de Jonathan Israel, Democratic Democratic Enlightenment. Philosophy, Revolution, and Human Rights, 1750-1790 (New York: Oxford University Press, 2011), pp. 637-638 [info]:

If Rousseau's volonté générale shares with Diderot's and d'Holbach's 'general will' the property of grounding both the rights and duties of citizens, it differs from theirs in that, for Rousseau, each nation expresses its own particular will rather than embraces the universal 'general will' proclaimed by the Diderot circle. Rousseau's equality consequently has a localized, particular quality that helps us understand why it is that he nowhere speaks of the oneness of mankind or proclaims the equality of the black and brown peoples with the whites. It also helps us explain how the gender factor could differ so dramatically in the two cases, the status of men and women in Rousseau's schema diverging sharply from that in Diderot's.

The 'general will' of the Diderot circle, proclaiming justice and equality the sole basis of the 'general will', appeals to constant and absolute principles, and applies to all human society wherever it may be, laying down values supposedly no less valid in primitive than civilized societies. It was equally relevant as a basis for regulating relations between states and peoples and for organizing democracy within nations. At the same time, it fully acknowledged the inevitability of disagreement and clashes between individual and collective interest.

Thus, the Radical Enlightenment conception of general will lacked that emphasis on unanimity and absence of dissent, indeed pressure to eliminate dissent, typical of Rousseau's (and later Robespierre's) rival conception.

(*) Colas Duflo. Diderot philosophe. Paris: Honoré Champion, 2003 [recension].
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Wednesday, June 27, 2012

THE GENIUS OF FRANÇOIS BERNIER (II). VOLNEY & BERNIER

AM | @HDI1780

Volney was an avid reader of François Bernier. This quote from Les ruines (1791), which Sainte-Beuve derided as comme du Raynal plus jeune, makes it clear: "Dépourvu d'avances, le laboureur n'a pu ensemencer; l'impôt est survenu, il n'a pu payer; on l'a menacé du bâton, il a emprunté; le numéraire, faute de sûreté, s'est trouvé caché; l'intérêt a été énorme et l'usure du riche a agravé la misère de l'ouvrier" (p. 74). This passage comes straight from Bernier's "Lettre à Monseigneur Colbert", printed in the 1699 edition of his Voyage. The young Constantin-François Chasseboeuf must have discussed it with Raynal and d'Holbach in the late 1770s-early 1780s.
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Tuesday, June 26, 2012

THE GENIUS OF FRANÇOIS BERNIER (I)
"...une authorité comme absoluë" — François Bernier

AM | @HDI1780

I just re-read the last 30 pages of Vol. 1 of Paul Maret's magnificent edition of Voyages de François Bernier. Contenant la Description des Etats du Grand Mogol de l'Hindoustan, du Royaume de Cachemire, &c (Amsterdam, 1699) [see]. This fantastic book is the key source of many important ideas of Montesquieu, Raynal, Diderot, Adam Smith and Volney. The more I read Bernier, the more I am convinced of this fact. So let me first lay down some points of reference about Bernier and Histoire des deux Indes.

The key idea here is the notion of "le Mien & le Tien", Bernier's peculiar way of describing the fragility of property rights across the Eastern world: "Ces trois Etats Turquie, Perse, & l'Hindoustan, ...ont tous osté ce Mien & ce Tien à l'esgard des fonds de terre & de la proprieté des possessions" (p. 310 bis). Without citing the adventurous traveler, Raynal mentions this idea in Book X: "César trouva dans les Gaules le même usage qui porte le double caractère, d’un état primitif où tout étoit à tous, & d’une condition postérieure, où la notion du tien & du mien étoit connue & respectée" (HDI 1780, x.8).

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While looking for more textual references with the help of Google Books, I suddenly realized that Raynal and Diderot had merely transposed —sometimes word by word—, Bernier's ideas on the governance of the "Hindoustan" to the French colonies in the Caribbean and North America. Thus Bernier states that the Moghol's governors act "comme de petits Tyrans avec une authorité sans bornes"; this is exactly how Raynal describes the lieutenant du roi in French Antilles: "C’étoit un petit tyran, qui vexoit les cultivateurs, qui rançonnoit le commerce & qui aimoit mieux vendre un pardon, que prévenir des fautes" (HDI 1780, xiii.57).

And the phrase autorité sans bornes shows up on many occasions in HDI: xiv.2, xviii.19, xviii.35, xix.2. In the process of adapting Bernier's account to the New World, Raynal and Diderot came up with two very important ideas that figure prominently in Histoire des deux Indes: the impact of the governance structure on the supply of credit, and the fragility of forme judiciaire in the periphery of the empire. (And I have yet to re-read the parts on trade!). I will come back to these two points in the coming days. Stay tuned for more about the genius of François Bernier.
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Monday, June 25, 2012

ON CREDIT MARKETS, ONCE AGAIN...
"...on prêteroit avec plus de confiance" — Diderot  

AM | @HDI1780

I have found yet another reference to what I call the 'institutional' theory of credit markets, very popular throughout the Eighteenth century. It occurs in article ARGENT, published in 1778 in volume 6 of M. Robinet's Dictionnaire universel des sciences morale, économique, politique et diplomatique; ou Bibliothèque de l'homme-d'état et du citoyen (page 88). Here's the relevant passage:

Ce que j'avance à ce sujet est si vrai, que j'ose soutenir qu'on ne trouvera aucun pays où l'industrie regne, & où la bonne foi soit respectée dans lequel l'intérêt l'Argent soit haut; & au contraire, partout où l'on paye un gros intérêt, la reproduction annuelle est languissante, & la fidélité des contrats est suspecte; on peut donc calculer la félicité des Etats d'après le taux d'intérêt qu'on y paye pour l'Argent prêté.

The language is strikingly similar to that used by Raynal, Diderot, and others who wrote about credit markets at that time. Thus when French colonists default on their debts, Raynal calls it "une infidélité des plus criminelles" (HDI 1780, xiv.40), while his colleague Diderot calls for more "bonne foi" and "fidélité dans les engagements" as a way to prop up confidence (HDI 1780, xii.31). If lending were to be completely prohibited in the colonies, warns Raynal in a key chapter on credit, it would surely lead to "opérations de jour en jour plus languissantes" (HDI 1780, xiii.54) (*).

(*) Turgot, an important source of Raynal and Diderot, also uses "infidélité", "bonne foi" and "languir" in the context of a default on debt obligations. Œuvres de Mr. Turgot, Tome V. Paris: Delange, 1808. And let's not forget Adam Smith's poignant observation: "Interest is raised by defective enforcement of contracts".
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Thursday, June 21, 2012

VISIR
"...& il y a des visirs par-tout" — Diderot

AM | @HDI1780

Qui est le visir dans HDI 1780, xix.10? Ce charmant dialogue, ajouté au texte d'Alexandre Deleyre sur l’impôt en Europe, vise sans doute le chancellier Maupeou. Il nous aide à comprendre le lien étroit que l'Histoire des deux Indes établit entre la liberté politique, la sécurité, et la solvabilité d'une nation telle que la France dans les années 1770-1780. La principale source de ce texte est l'Esprit des lois, en particulier les premiers chapitres du Livre XIII.

* * *

C'est là que Montesquieu s'interroge sur la proportion, sur le rapport entre l’impôt et la sécurité des citoyens (*). C'est précisemment la question de ce rapport qui nourrit le dialogue avec le visir:

Mais dans toute convention, il y a un rapport entre le prix & la valeur de la chose acquise; & ce rapport est nécessairement en moins du côté du prix, en plus du côté des avantages. [....] Or, où est ce rapport, cette proportion des avantages de la force publique, pour moi propriétaire, avec le prix dont je les paie [...] la capitation qui n’a aucune base, aucun rapport avec la propriété ni avec l’industrie [...] Nous demanderons quel rapport il y a entre cette multitude bisarre & compliquée de contributions & les avantages que chacun de nous obtient de la force publique.

(*) Voir à ce sujet le (difficile) article de Céline Spector: "
Quelle justice? quelle rationalité? La mesure du droit dans l'Esprit des lois", Studies on Voltaire & the Eighteenth Century, No.5, 2005.
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Wednesday, June 20, 2012

COMMERCE & COMMUNICATION. JEAN-JACQUES & L'HISTOIRE DES DEUX INDES (III)
"...le fléau des préjugés..." — Raynal

AM | @HDI1780

Jean-Jacques Rousseau n'aime pas le commerce, qu'il considère comme une des plus importantes sources d'inégalité: "Empêcher l'exportation des denrées c'est couper par la racine les grandes possessions", lit-on dans les "Fragments séparés" du Projet de Constitution pour la Corse. Et qui dit inégalité dit instabilité politique. Dans le Contrat social, il vante le "mépris pour le commerce" des Romains, qu'il présente comme la clef de voûte de la stabilité de leurs institutions (iv.4). Dans ses écrits sur l'abbé de Saint-Pierre, Rousseau jette le blâme sur les "idées de commerce et d'argent" qui font qu' "aucune maxime stable" soit possible en Europe [voir]. Le contraste avec l'Histoire des deux Indes, cela va sans dire, est frappant. En fait, Guillaume-Thomas Raynal soutient précisemment la thèse opposée:

Qu'on nous vante les Spartiates, les Egyptiens, & toutes les nations qui ont été plus fortes, plus grandes & plus stables dans l'état de séparation qu'elles s'étoient imposé. Le genre-humain n'a rien gagné dans ces institutions singulieres. Mais l'esprit de commerce est utile à toutes les nations, en leur communicant les biens & les lumières de chacune (HDI 1780, ii.7, p. 215).

La communication, voilà le problème! Piégé par son humanisme clôturé, Jean-Jacques écrit: "Tout ce qui facilite la communication entre les diverses nations porte aux nues, non les vertus des autres, mais leurs crimes" (Préface de Narcisse). Raynal, par contre, fait l'apologie de la communication. Certes, il n'en cache pas les risques: "Le pian, qui est la seconde maladie particulière aux nègres, & qui les suit d’Afrique en Amérique, se gagne par naissance, & se contracte par communication" (HDI 1780, xi.22) (*). Mais c'est bel et bien l'optimisme qui l'emporte:

 ...une communication sûre & facile avec l’Afrique... (x.12)

...toute communication étoit interrompue entre ces grands établissemens & leur métropole... (x.16)

La communication de la ville avec l’intérieur du pays... (x.16)

La communication de ces deux villes Maures... (xi.8)

...la communication de nos lumières... (xi.9)

Une communication si naturelle entre des côtes qui se regardent... (xi.9)

Le vuide que forme nécessairement ce défaut de communication seroit rempli... (xi.9)

...une communication suivie entre les peuples des terres & ceux de la côte... (xi.11)

...le mettre en communication suivie avec des peuples laborieux. (xii.7)

...l’avantage de devenir le point de communication entre la colonie & la métropole. (xii.22)

...tout espoir de r’ouvrir une communication qui n’avoit langui que par des erreurs passagères. (xii.23)

...vouloir le priver des commodités & des avantages qu’il peut trouver dans une communication suivie ou passagère avec ses propres concitoyens. (xii.29)

...& l’on ouvrit une communication facile entre la Guadeloupe & la Grande-Terre... (xii.31)

...c’est avec l’Amérique Septentrionale que Saint-Domingue entretient une communication plus suivie & plus nécessaire. (xii.45)

....cette communication, si nécessaire à une nation qui fait cause commune avec elle... (xii.48)

On creusera un lit aux torrens; celui des rivières sera redressé; & l’on construira des ponts qui assureront les communications. (xiii.57)

La communication entre les peuples alloit être le fléau des préjugés: elle ouvroit une porte à l’industrie & aux lumières. (xiv.2)

(*) Voir la célèbre
introduction de l'Histoire des deux Indes: "...part-tout les hommes ont fait un échange mutuel de leurs opinions, de leurs loix, de leurs usages, de leurs maladies, de leurs remedes, de leurs vertus & de leurs vices".
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Tuesday, June 19, 2012

UN EXERCICE D'HUMANITÉS DIGITALES ... EN DIRECT!

AM | @HDI1780

Voici un exercice d'humanités digitales: je me propose de disséquer un texte de Mariano Moreno, le leader de la Révolution de Mai 1810 au Río de la Plata. Il s'agit d'un article publié le 6 novembre 1810 dans la Gazeta de Buenos-Ayres [texte]. Je sais d'ores et déjà qu'il contient de nombreuses références (cachées) à l'Histoire des deux Indes et à d'autres textes des Lumières radicales. Mais cette fois le texte sera passé au peigne fin. La technique est simple: dès qu'une expression est jugée 'suspecte', nous utilisons Google Books pour la traquer. Ordre de priorité: "raynal, diderot, helvétius, condorcet, mably, rousseau".

(Heure de Barcelone).

10:50 / 11:10

. Texte de Moreno : "...la sublime ciencia, que trata del bien de las naciones ..."

. Recherche: [science sublime raynal / science sublime diderot / science sublime helvétius / science sublime condorcet / science sublime rousseau]. Résultat: Rousseau, "O vertu! science sublime des ames simples", Discours sur les sciences et les arts, 1750, II. Commentaire: pourquoi est-il si difficle d'accéder à JJR sur la toile?

. Recherche: [le bien des nations raynal]. Résultat: Raynal, "Massacres que les suppots de la divine théologie ont fait faire pour le bien des nations & l'édification des élus.", Réponse à la censure de la Faculté de Théologie de Paris. Londres, 1782, p. 45. Commentaire: c'est tout à fait possible. Moreno a lu tous les livres de Raynal.
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11:10 / 11:26

. Texte de Moreno : "...un estado, que por su constitucion y poder es respetable á sus vecinos donde rigen leyes calculadas obre los principios físicos y morales ..."

. Recherche: [respectable à ses voisins raynal / etc.]. Résultat: Mably, "…pour augmenter ses forces et les rendre respectables à ses voisins…", Le droit public de l’Europe (xi.10), in Œuvres complètes de l’abbé Mably, Vol. 6. Londres: 1789, p. 324.

. Recherche: [lois calculées]. Résultat: Demeunier, “…un recueil de Lois calculées pour son bonheur…” (Mercure de France, 2 janvier 1790, p. 297). Commentaire: nous savons que Moreno a lu des exemplaires du Mercure datant de 1750, probablement à Chuquisaca. Il s'agit ici de Jean-Nicolas Demeunier (1751-1814), auteur de l'article “États-Unis”, publié 1786 dans le tome II de l'Encyclopédie Méthodique, que Moreno connaît bien. La première partie de l'article reprend l'HDI.

. Recherche: [principe physique et moral raynal, etc.]. Résultat: Raynal, "Mais quelques soient le principe physique & et le but moral de cet usage…" (Histoire des deux Indes 1780, xi.31, p. 166).
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14:26 / 15:02

. Texte de Moreno : "Esta es la suma de quantas reglas consagra la política á la felicidad de los estados..."

. Recherche: [la félicité des états raynal / etc.]. Résultat: Mably, "…cette politique, qui seule peut faire la grandeur & la félicité durables des Etats ?" Le droit public de l’Europe (iv), in Œuvres complètes de l’abbé Mably, Vol. 5. Lyon: 1796, p. 410. Commentaire: quand un même texte est cité plus d'une fois, cela veut dire qu'on est sur la bonne voie!
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15:04 / 15:18

. Texte de Moreno : "...el resultado de las utiles tareas..."

. Recherche: [tâches utiles raynal / etc.]. Résultat: Rousseau, "Hors d'état de remplir la tâche la plus utile...", Émile ou de l'éducation, I. Commentaire: encore un fois, il est assez difficile de trouver les textes de JJR avec Google Books.
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15:20 / 15:35

. Texte de Moreno : "...la opulencia del territorio..."

. Recherche: [opulence du territoire raynal / etc.]. Résultat: Ancien Moniteur: "...la double opulence du territoire et de l'industrie." Commentaire: c'est possible; Moreno a beaucoup lu sur la Révolution française. N'oublions pas qu'il est à la recherche d'un (tout nouveau) vocabulaire républicain.
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15:39 / 15:54

. Texte de Moreno : "...las virtudes de un pueblo sóbrio y laborioso..."

. Recherche: [peuple laborieux raynal / etc]. Résultat: Rousseau, "Mais laissez un peuple simple et laborieux se délasser de ses travaux...", Lettre à M. d'Alembert sur les spectacles, 1758. L'expression "peuple laborieux" figure bien dans l'HDI, mais le texte de JJR est une piste plus solide ici.
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16:10 / 16: 38

. Texte de Moreno: "...quando el amor á la patria sea una virtud común, y eleve nuestras almas á ese grado de energía, que atropella las dificultades, y desprecia los peligros..."

. Recherche: [éleve l'ame helvétius / etc]. Résultat: Helvétius, "...cette liberté éleve l'ame...", De l'homme , Tome II, ix.13. Londres: 1773, p. 276.

. Recherche: [degré d'énergie / degré de force helvétius]. Résultat: "...s'exalter dans l'homme au meme degré de force...", De l'homme, Tome I. Londres, 1773, p. xxiv.

. Recherche: [méprise danger raynal]. Résultat: "Le chef de Missouris, instruit par cette méprise singulière du danger...", Histoire des deux Indes 1780, xvi.6, p. 184. Moreno construit sa 'théorie du leadership' sur la base de textes d'Helvétius et de Raynal.
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À SUIVRE ....

Thursday, June 7, 2012

JEAN-JACQUES & L'HISTOIRE DES DEUX INDES (II)
"Regina mundi forma" — Denis Diderot

AM | @HDI1780

Nous devons à la sagacité et à la remarquable érudition de Jonathan Israel l'inventaire des différences philosophiques entre Jean-Jacques Rousseau et les Lumières radicales, dont l'Histoire des deux Indes est une des principales références [1]. Ces différences portent sur un nombre de sujets: le concept de "volonté générale", la censure et la liberté de la presse, la place des femmes dans la société, etc. Il est possible, à mon avis, d'en établir d'autres: la "forme judiciaire", le gouvernement mixte, le commerce. Voyons d'abord la question de la forme judiciaire, qui joue un rôle tout à fait déterminant dans la pensée politique de Denis Diderot.

La forme judiciaire correspond grosso modo à ce que les anglo-saxons appellent due process of law. L'argument developpé par les auteurs de l'HDI provient en ligne droite du Livre VI de l'Esprit des lois; il est assez clair: sans forme judiciaire, pas de liberté politique, ni de propriétés assurées, ni de crédit, ni de commerce. Dans son étude sur Montesquieu, Bertrand Binoche montre bien comment Jean-Jacques Rousseau rejette les idées du philosophe de La Brède sur la forme judiciaire [2]. Par contre, l'Histoire des deux Indes nous fournit les passages suivants:

[1] Code de Brama (HDI 1780, i.8, p. 43): "On y traite d'abord du prêt, le premier lien des hommes entre eux; de la propriété, le premier pas de l'association; de la justice, sans laquelle aucune société ne peut subsister; des formes de la justice, sans lesquelles l'exercice en devient arbitraire..." Ce texte remarquable (de Diderot) illustre bien le lien entre forme judiciaire, propriété et ... crédit.

[2] Colonies anglaises dans les isles de l’Amérique (HDI 1780, xiv.2): "Par-tout où il n’y a ni loix fixes, ni justice, ni formes constantes, ni propriétés réelles, le magistrat est peu de chose, ou n’est rien; il attend un signe pour être ce qu’on voudra. Le grand seigneur rampe devant le prince, & les peuples rampent devant le grand seigneur". La même idée!

[3] Procédure criminelle (HDI 1780, xvi.9) [voir]: "On fit plus d’attention à l’établissement des loix criminelles d’Angleterre. C’étoit un des plus heureux présens que pût recevoir le Canada. Auparavant, un coupable, vrai où présumé, étoit saisi, jetté dans une prison, interrogé, sans connoître, ni son délit, ni son accusateur, sans pouvoir appeller auprès de lui, ou ses parens, ou ses amis, ou des conseils".

[4] Lally-Tollendal (HDI 1780,
iv.24, p. 307): "Dans la vérité, c'étoit un fou noir & dangereux; un homme odieux & méprisable; un homme essentiellement incapable de commander aux autres. Mais ce n'étoit ni un concussionnaire, ni un traître; & pour nous servir de l'expression d'un philosophe dont les vertus font honneur à l'humanité: tout le monde avait le droit d'assomer Lally, excepté le bourreau".

J'aurai l'occasion de revenir sur Diderot et la forme judiciaire. Ses arguments deviendront l'un des axes de la pensée politique de Benjamin Constant, pensée qui découle à plus d'un titre de sa lecture de Diderot et de l'Histoire des deux Indes. C'est pourquoi Rémy Hebding, dans sa biographie intellectuelle de Constant, n'hésite pas à parler de l'esprit des formes alors même qu'il évoque le gouffre entre ses idées politiques et celles d'un certain ... Jean-Jacques Rousseau [3].

[1] Jonathan Israel. Democratic Enlightenment. Philosophy, Revolution, and Human Rights, 1750-1790 (New York: Oxford University Press, 2011) [info].

[2] Bertrand Binoche. Introduction à 'De l’esprit des lois' de Montesquieu (París: PUF, 1998), p. 232.

[3] Rémy Hebding. Benjamin Constant. Le libéralisme tourmenté (Paris: Max Chaleil, 2009)
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Tuesday, June 5, 2012

JEAN-JACQUES, RAYNAL & L'HDI (I)
"Et moy, suis-je dans un baing?" — Montaigne

AM | HDI1780

Je commence aujourd'hui une série de mini-articles sur Jean-Jacques Rousseau, Guillaume-Thomas Raynal et l'Histoire des deux Indes. Les débuts seront modestes: seulement une référence textuelle, avant de passer au vif du sujet à l'aide des livres de Gilles Bancarel et Jonathan Israel. Dans sa « Lettre de Jamaïque » (1815), Simon Bolívar affirme à propos des Espagnols : « Ya ellos dicen con Reynal: llegó el tiempo en fin, de pagar a los españoles suplicios con suplicios y de ahogar esa raza de exterminadores en su sangre o en el mar. » [1]. Ces lignes proviennent du récit de la torture de Cuauhtémoc dans HDI 1780, vi.1 (Raynal écrit « Guatimozin ») :

Un financier Espagnol imagina que Guatimozin avait des trésors cachés ; & pour le forcer à les déclarer, il le fit étendre sur des charbons ardens. Son favori, exposé à la même torture, lui adressait de tristes plaintes : Et moi, lui dit l’Empereur, suis-je sur des roses ? Mot comparable à tout ce que l’histoire a transmis à l’admiration des hommes. Les Mexicains les rediraient à leurs enfans, si quelque jour ils pouvaient rendre aux espagnols supplice pour supplice, noyer cette race d’exterminateurs dans la mer ou dans le sang.

* * *

L'auteur de l'Histoire des deux Indes reprend la « Dernière réponse » (1752) de Jean-Jacques Rousseau sur le Discours sur les sciences et les arts. Cette réponse fait suite aux débats publiés dès 1751 dans le Mercure de France, publication dirigée par ... Guillaume-Thomas Raynal. Voici le fragment en question:

Qui jugerons-nous le plus courageux, de l'odieux Cortez subjugant le Mexique à force de poudre, de perfidie & de trahisons ; ou de l'infortuné Guatimozin étendu par d'honnêtes Européens sur des charbons ardens pour avoir ses trésors, tançant un de ses officiers à qui le même traitement arrachoit quelques plaintes, & lui disant fiérement. Et moi, suis-je sur des roses ?

D'après les éditeurs modernes de Rousseau, l'écrivain genevois modifie ici un texte de Montaigne (Essais, Livre III, chapitre 6), tiré à son tour de la chronique de Gomara: "...luy dict seulement ces mots d'une voix rude et ferme: Et moy, suis-je dans un baing? suis-je pas plus à mon aise que toy?" [2].

[1] Agustín Mackinlay: "Une 'heureuse révolution dans les idées': l'Histoire des deux Indes et l'indépendance de l'Amérique Méridionale", in Alvar de la Losa & Thomas Gomez (Ed.) L'indépendance de l'Amérique andine et l'Europe (1767-1840). Université de Paris Ouest Nanterre La Défense, 2011, pp. 39-53.

[2] Œuvres complètes, III, p. 1277.
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Thursday, May 31, 2012

VOLNEY TO JEFFERSON ON CREDIT MARKETS
"Aequitas, aequilibrium, aequalitas, sont tous de la même famille" — Volney

AM | @HDI1780

Writing from Philadelphia in January 1796, Volney tells Thomas Jefferson that "Le Systeme de Notre gouvernement est different de celui qu'il etait il y a un an". For the first time in French history, the 1795 Constitution embraces bicameralism. Later that year, again from Philadelphia, an ecstatic Volney describes the sea-change in credit market conditions: "... nos affaires intérieures Vont bien, la Valeur de Nos biens fonds a doublé en Numéraire en 3 Mois: l'on Vend à terme de 90 jours, chose inouïe depuis 3 ans".

In other words: bond prices have doubled, confidence has soared, and credit now flows normally throughout the economy. From a credit market perspective, the Robespierre years were indeed dreadful. What I like about Volney's letter is the implicit link between governance and ... interest rates. Good governance brings about increasing levels of confidence and credit; tyranny destroys them. This is one of the key lessons of Histoire des deux Indes, a book that Volney read with passion.

(*) The Papers of Thomas Jefferson, Vol. 29. Princeton University Press, 2002.
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Wednesday, May 30, 2012

THE DECLARATION OF INDEPENDENCE: RAYNAL & JEFFERSON (PART V)
"Contrée héroïque, mon âge avancé ne me permet pas de te visiter..." — Raynal

AM | @HDI1780

In his gripping historical novel Waffen für Amerika (1946), Lion Feuchtwanger describes Beaumarchais' euphoric demeanour as he introduces the American Declaration of Independence into Parisian salons. Although his friends warn him that Benjamin Franklin "is not quite as optimistic as you are", an undeterred Beaumarchais sees the Declaration as the signal to move forward with his risky American ventures. The momentous events take place just as Raynal and Diderot sit down to write about events in North America for what would become the third edition of Histoire des deux Indes.

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Chapter 45 of Book XVIII contains a partial translation of the Declaration of Independence. While the Declaration is deemed the Revolution's manifeste, its main author is not mentioned — a fact that must have contributed to Thomas Jefferson's enduring animosity towards Raynal. Here's the translation:

...l’histoire de la nation Angloise & de son roi n’offrira à l’avenir qu’elle entretiendra d’eux & de nous, qu’un tissu d’outrages & d’usurpations qui tendoient également à l’établissement d’une tyrannie absolue dans ces provinces.

The history of the present King of Great Britain is a history of repeated injuries and usurpations, all having in direct object the establishment of an absolute Tyranny over these States.
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Elle dira que son monarque a refusé son consentement aux loix les plus salutaires & les plus nécessaires au bien public.

He has refused his Assent to Laws, the most wholesome and necessary for the public good.
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[not translated]

He has forbidden his Governors to pass Laws of immediate and pressing importance, unless suspended in their operation till his Assent should be obtained; and when so suspended, he has utterly neglected to attend to them.

He has refused to pass other Laws for the accommodation of large districts of people, unless those people would relinquish the right of Representation in the Legislature, a right inestimable to them and formidable to tyrants only.
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Qu’il a transféré les assemblées dans des lieux incommodes, éloignés des archives, pour amener plus aisément les députés à ses vues.

He has called together legislative bodies at places unusual, uncomfortable, and distant from the depository of their public Records, for the sole purpose of fatiguing them into compliance with his measures.
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Qu’il a plusieurs fois dîssous la chambre des représentans, parce qu’on y défendoit avec fermeté les droits des peuples.

He has dissolved Representative Houses repeatedly, for opposing with manly firmness his invasions on the rights of the people.
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Qu’il a laissé, après cette dissolution, les états trop long-tems sans représentans, & par conséquent exposés aux inconvéniens résultant du défaut d’assemblée.

He has refused for a long time, after such dissolutions, to cause others to be elected; whereby the Legislative powers, incapable of Annihilation, have returned to the People at large for their exercise; the State remaining in the mean time exposed to all the dangers of invasion from without, and convulsions within.
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Qu’il s’est efforcé d’arrêter la population, en rendant la naturalisation des étrangers difficile, & en vendant trop cher les terreins dont il accordoit la propriété.

He has endeavoured to prevent the population of these States; for that purpose obstructing the Laws for Naturalization of Foreigners; refusing to pass others to encourage their migrations hither, and raising the conditions of new Appropriations of Lands.
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[not translated]

He has obstructed the Administration of Justice, by refusing his Assent to Laws for establishing Judiciary powers.
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Qu’il a trop mis les juges dans sa dépendance, en statuant qu’ils ne tiendroient que de lui, & leurs offices, & leurs salaires.

He has made Judges dependent on his Will alone, for the tenure of their offices, and the amount and payment of their salaries.
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Qu’il a créé des places nouvelles & rempli ces régions d’une multitude d’employés qui dévoroient notre substance & troubloient notre tranquillité.

He has erected a multitude of New Offices, and sent hither swarms of Officers to harrass our people, and eat out their substance.
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Qu’il a maintenu, en pleine paix, au milieu de nous des forces considérables, sans le consentement du pouvoir législatif.

He has kept among us, in times of peace, Standing Armies without the Consent of our legislatures.
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Qu’il a rendu le pouvoir militaire indépendant de la loi civile & même supérieur à elle.

He has affected to render the Military independent of and superior to the Civil power.
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Qu’il a tout combiné avec des hommes pervers, pour loger dans nos maisons des gens de guerre armés, & les mettre à couvert des peines dues aux meurtres qu’ils pourroient commettre en Amérique; pour détruire notre commerce dans toutes les parties du globe; pour nous imposer des taxes sans notre aveu; pour nous priver, dans plusieurs cas, de nos jugemens par jurés; pour nous transporter & nous faire juger au-delà des mers; pour nous enlever nos chartes, supprimer nos meilleures loix, altérer le fonds & la forme de notre gouvernement; pour suspendre notre propre législation & pouvoir nous donner d’autres loix.

He has combined with others to subject us to a jurisdiction foreign to our constitution, and unacknowledged by our laws; giving his Assent to their Acts of pretended Legislation:
For Quartering large bodies of armed troops among us:
For protecting them, by a mock Trial, from punishment for any Murders which they should commit on the Inhabitants of these States:
For cutting off our Trade with all parts of the world:
For imposing Taxes on us without our Consent:
For depriving us in many cases, of the benefits of Trial by Jury:
For transporting us beyond Seas to be tried for pretended offences
For abolishing the free System of English Laws in a neighbouring Province, establishing therein an Arbitrary government, and enlarging its Boundaries so as to render it at once an example and fit instrument for introducing the same absolute rule into these Colonies:
For taking away our Charters, abolishing our most valuable Laws, and altering fundamentally the Forms of our Governments:
For suspending our
own Legislatures, and declaring themselves invested with power to legislate for us in all cases whatsoever.
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Qu’il a lui-même abdiqué son gouvernement dans les provinces Américaines, en nous déclarant déchus de sa protection & en nous faisant la guerre.

He has abdicated Government here, by declaring us out of his Protection and waging War against us.
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Qu’il a fait ravager nos côtes, détruire nos ports, brûler nos villes, massacrer nos peuples.

He has plundered our seas, ravaged our Coasts, burnt our towns, and destroyed the lives of our people.
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[order altered here] Que dans ce moment il arrivoit sur nos plages des armées mercenaires & étrangères, chargées de consommer l’ouvrage de la désolation & de la mort. Et qu’un prince, dont le caractère fut ainsi marqué par tous les traits de la tyrannie, n’étoit pas fait pour gouverner un peuple libre.

He is at this time transporting large Armies of foreign Mercenaries to compleat the works of death, desolation and tyranny, already begun with circumstances of Cruelty & perfidy scarcely paralleled in the most barbarous ages, and totally unworthy the Head of a civilized nation.
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Qu’il a forcé nos concitoyens, faits prisonniers en pleine mer, à porter les armes contre leur patrie, à devenir les bourreaux de leurs amis & de leurs frères, où à périr eux-mêmes par des mains si chères.

He has constrained our fellow Citizens taken Captive on the high Seas to bear Arms against their Country, to become the executioners of their friends and Brethren, or to fall themselves by their Hands.
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Qu’il a excité parmi nous des divisions intestines, & qu’il s’est efforcé de soulever contre nos paisibles habitans les sauvages barbares, accoutumés à tout massacrer, sans distinction de rang, de sexe & d’âge.

He has excited domestic insurrections amongst us, and has endeavoured to bring on the inhabitants of our frontiers, the merciless Indian Savages, whose known rule of warfare, is an undistinguished destruction of all ages, sexes and conditions.
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Monday, May 28, 2012

UNE POSSESSION PRÉCAIRE
"... sans risque & sans inquiétude de leurs possessions..." — Raynal

AM | @HDI1780

Quel est le mot qui revient le plus souvent dans l'Histoire des deux Indes? Voici une possibilité: possession, possessions. Sans compter le verbe posséder, ce mot est repris 219 fois entre les Livres X et XIX. Quelques exemples: "Que possède celui qui a renoncé à toute possession?" (1780, xi.24); "...possession de leur conquête" (1780, xv.7); "...possession des pelleteries..." (1780, xv.10); "On prit possession de la colonie au nom de son nouveau maître..." (1780, xvi.11); "Une loi du 14 janvier 1778, assure aux possesseurs la propriété de ce qui se trouvera dans leurs mains" (1780, xii.7); "Une possession si précieuse..." (1780, xvi.20). Etc, etc.

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Pour bien saisir l'importance des idées de possession et de propriété, il faut relire les textes de Raynal et Diderot sur les taux d'intérêt. L'Histoire des deux Indes reprend l'idée de Montesquieu: plus les possessions sont précaires, plus l'offre de crédit se rétrécit — et plus les taux d'intérêt sont élevés (*). Or, la fragilité des possessions est le trait caractéristique du gouvernement despotique; c'est précisemment le cas des colonies françaises d'outre-Atlantique: 

Les gouverneurs & les intendans accordent en commun les terres qui n’ont pas été données, & jugeoient, il n’y a que peu d’années, de tous les différends qui s’élevoient au sujet des anciennes possessions. Cet arrangement mettoit dans leurs mains, dans celles de leurs commis ou de leurs créatures, la fortune de tous les colons; & dès-lors rendoit précaire le sort de toutes les propriétés. On ne sauroit imaginer un plus grand désordre. (1780, xiii.56).

Quand le pouvoir éxécutif fait main basse sur l'activité des juges, les possessions et les propriétés deviennent précaires; le crédit disparaît. Montesquieu l'affirme à propos de la Turquie, où les biens "sont possédés d'une manière précaire" (EL, V.14). Ce texte précède de très peu le remarquable chapitre de l'Esprit des lois sur la relation entre despotisme et ... usure.

(*) Dans les temps d'anarchie, cela va sans dire, la propriété est fragilisée. Voici Raynal à propos de la chute de l'empire romain: "Tous les possesseurs de fiefs prétendirent, dans ces tems d’anarchie, qu’un roturier, quel qu’il fût, ne pouvoit avoir que des propriétés précaires, & qui venoient originairement de leur libéralité" (1780, xi.24). Là aussi, les taux d'intéret seront particulièrement élevés: voir. À noter, à ce propos, ces lignes de Turgot: "Les uns ont fait ce marché pour un tems, et n'ont laissé à leurs Serfs, qu'une possession précaire et révocable" (Réfléxions sur la formation et la distribution des richesses, XXVI).
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Thursday, May 24, 2012

CONDORCET & L'INNOVATION

"Il n'y a point d'innovations sans avances" — Condorcet

AM | @HDI1780

L'innovation joue un rôle important dans l'économie politique de l'Histoire des deux Indes. Par ailleurs, j'ai la conviction que Joseph Schumpeter, le père de l'économie de l'innovation, a lu de près les auteurs des Lumières radicales comme Helvétius, Condorcet, et peut-être Raynal. En relisant l'excellent article de Jean-Louis Billoret sur Condorcet et la théorie de l'innovation, je trouve une référence à une idée que Schumpeter reprendra à son compte en 1912: il n'y a pas d'innovation sans crédit (*). Voici, grâce à Google Books, le texte en question:

Il n'y a point d'innovations sans avances, sans risques; l'agriculture ne peut donc se perfectionner que lorsque des propriétaires riches, devenus cultivateurs, s'occuperont des progrès de l'art par curiosité, par intérêt, par ce sentiment naturel quiattache l'homme à l'objet de ses travaux, et qu'ils consacreront une partie de leurs travaux à tenter des expériences, à essayer des méthodes.

Pas de doute quant à moi: Schumpeter a bel et bien lu nos auteurs. Je reviendrai sur cette lecture, avec des références plus précises sur les étonnants liens entre De l'esprit, l'Histoire des deux Indes et l'Esquisse d'un tableau historique des progrès de l'esprit humain, en particulier en ce qui concerne la théorie de l'innovation.

(*) Jean-Louis Billoret: "Condorcet: créateur de la théorie de l'innovation", in Pierre Crépeil & Christian Gillain. Condorcet. Mathématicien, économiste, philosophe, homme politique. Paris: Minerve, 1989, pp. 160-167.
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