Monday, September 30, 2013

LIBERALISM & REALISM IN HISTOIRE DES DEUX INDES (I)

AM | @HDI1780

"Elle étoit parvenue à la monarchie universelle du commerce" — Raynal

Open a manual on International Political Economy and you will find an introduction to the three main "schools of thought": Realism, Liberalism and Marxism. Where does Histoire des deux Indes, the first major IPE manual, stand from this perspective? Needless to say, the book is long enough to contain many different views. Roughly speaking, Deleyre supplied the more liberal points of views in his Tableau de l'Europe (1774). Raynal, on the other hand, moved away from the liberalism of the first edition and ended up embracing realism in 1780. (I will tackle Diderot in another post).

Before discussing Raynal's realism, let me quote this fascinating passage from Book X:

Le systême de M. Pitt parut à de grands politiques le seul élevé; le seul même raisonnable. Sa nation avoit contracté une si prodigieuse masse de dettes, qu’elle ne pouvoit, ni s’en libérer, ni même en soutenir le poids, qu’en ouvrant de nouvelles sources d’opulence. L’Europe, fatiguée des vexations que la Grande-Bretagne lui faisoit éprouver, attendoit avec impatience l’occasion de mettre son oppresseur dans l’impossibilité de les continuer [...] Toutes ces raisons faisoient que l’Angleterre, quoique commerçante, étoit forcée, pour se maintenir, de s’agrandir sans cesse. (HDI 1780, x.16).

This is Leninism avant-la-lettre! The trading nations of Europe need to conquer new markets in order to avoid a domestic financial collapse! Did Lenin ever read these lines?

* * *

The key tenet of realism, in the international arena, is the balance of power, or équilibre. Raynal eloquently argues that France needs to beef up her navy in order to fulfill her role as a garant of the balance of power in Europe:

Telle est l’espérance de l’Europe. Elle ne croira pas sa libertée assurée jusqu’à ce qu’elle voie voguer sur l’océan un pavillon qui ne tremble point devant celui de la Grande-Bretagne. Le vœu des nations est maintenant pour la puissance qui saura les défendre contre la prétention d’un seul peuple à la monarchie universelle des mers; & il n’y a en ce moment que la France qui puisse les délivrer de cette inquiétude. Le systême de l’équilibre ordonne donc que la cour de Versailles augmente ses forces navales, d’autant plus qu’elle ne le peut sans diminuer ses forces de terre: alors son influence partagée entre les deux élémens, ne sera plus redoutable sur aucun qu’à ceux qui voudroient en troubler l’harmonie (HDI 1780, xiii.58). 

Note the choice of words: "... le systême de l'équilibre ordonne..."; in the 1772 edition, we read: "...le systême de l'équilibre veut..." (Vol. 5, xiv, p. 295). The tone has clearly changed; realism is now much more pervasive. The American crisis has created a renewed sense of urgency about the need to fight "la monarchie universelle du commerce" (HDI 1780, xii.14) (*).

(*) This passage echoes Deleyre: "C’est cette espèce de monarchie universelle que l’Europe doit ôter à l’Angleterre, en redonnant à chaque état maritime la liberté, la puissance qu’il a droit d’avoir sur l’élément qui l’environne. C’est un systême de bien public, fondé sur l’équité naturelle" (HDI 1780, xix.3). Note the reference to équité; as Volney would later say: "Aequitas, aequilibrium, aequalitas, sont tous de la même famille".
______________

Thursday, September 26, 2013

HUIZINGA ON GOETHE

AM | @HDI1780

"Maar zij gaven de wereld een Bach en een Goethe" — Johan Huizinga

There are some books that one buys just because of an idea, a sentence, a line. This happened to me a few years back while wandering through the bookshelves of the wonderful De Slegte in Amsterdam. The book in question was a grim account of the state of Western civilization by Dutch historian Johan Huizinga. Published in 1945, its title was suggestive enough: Geschonden wereld ("The world disfigured"). Yet Huizinga saw light at the end of the tunnel. Here's the line that prompted me to buy it:

Goethe is niet te denken in een Duitschen eenheidstaat.

* * *

The idea that knowledge may be "dwarfed by authority" can be traced to David Hume's essay "Of the rise and progress of the arts and sciences" (1742). In order to be allowed to flourish, says Hume, the arts and sciences must "break the progress of authority":

If we consider the face of the globe, EUROPE, of all the four parts of the world, is the most broken by seas, rivers, and mountains; and GREECE of all countries of EUROPE. Hence these regions were naturally divided into several distinct governments. And hence the sciences arose in GREECE; and EUROPE has been hitherto the most constant habitation of them.

The argument is applied to China, where "the sciences have made so slow a progress". In the 1780 edition of Histoire des deux Indes (i.xx, pp. 125ff), Diderot further develops Hume's idea in his brilliant discussion of China [see] (*).

(*) See Anthony Pagden's excellent review of the leading Aufklärer views on China, in chapter 6 of The Enlightenment and why it still matters. Oxford University Press, 2013.
_____________

Tuesday, September 24, 2013

CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE No. 1

AM | @HDI1780

« Tout interprète est infidèle » — Mallet

[1] Founding Conservatives. David Lefer is out with a new book on some of the "unsung" (and "conservative") heroes of the American Revolution: John Dickinson, Robert Morris, Gouverneur Morris, etc (*). In 1769, Diderot wrote a review of Dickinson's Lettres d'un fermier de Pensylvanie; it begins with these words: "C'est une grande querelle que celle de l'Angleterre avec ses colonies. Savez-vous mon ami par où nature veut qu'elle finisse? Par une rupture" [see]. As for Gouverneur Morris, he was busy distributing copies of Thomas Paine's 1782 refutation of Raynal: see footnote 3 to this letter by Paine to Robert Morris.

(*) David Lefer. The Founding Conservatives. How a Group of Unsung Heroes Saved the American Revolution. New York: Penguin, 2013 [see] [VIDEO].
______________

[2] Badinter & Badinter. Il y a 25 ans, Elisabeth et Robert Badinter publiaient Condorcet. Un intellectuel en politique (Fayard, 1988). Je l'ai relu cette année. Le livre a très bien vielli, quoi qu'il devrait être lu avec un ouvrage publié un an plus tard : Condorcet. Mathématicien, économiste, philosophe, homme politique (Minerve, 1989). On trouve un grand plaisir à imaginer le séjour de Condorcet et d'Alembert à Ferney (1770), l'année « magique » du géomètre (1786), la rédaction de l'Esquisse (1793). Mais surtout, on saisit bien les conséquences majeures de la virtuelle disparition du pouvoir éxécutif en 1792 — conséquences courageusement anticipées par Raynal en mai 1791. Bravo les Badinter !
______________

[3] L'Edda des islandois. Grâce, encore une fois, à Google Books, j'ai repéré le livre cité par le baron d'Holbach dans son article ISLANDE [voir]: il s'agit de l'INTRODUCTION A L'HISTOIRE DE DANNEMARC, SECONDE PARTIE, Contenant les Monumens de la Mythologie & de la Poésie des anciens peuples du Nord. Genève, 1763. L'auteur est le genevois Paul Henri Mallet (1730-1807). Pour son article, d'Holbach choisit une série d'aphorismes ; on les retrouve entre les pages 248 et 257 du livre.
______________

[4] Enlightenment Shadows. At Alibri, the excellent bookshop in Barcelona, I saw this finely edited plaquette by Genevieve Lloyd (*). From the publishers: "The book is organized around interconnected close readings of a range of texts: Montesquieu's Persian Letters; Voltaire's Philosophical Dictionary; Hume's essay The Sceptic; Adam Smith's treatment of sympathy and imagination in Theory of Moral Sentiments; d'Alembert's "Preliminary Discourse" to the Encyclopedia--together with Diderot's entry on Encyclopedia; Diderot's Rameau's Nephew; and Kant's essay Perpetual Peace. Throughout, the readings highlight ways in which Enlightenment thinkers enacted in their writing--and reflected on--the interplay of intellect, imagination, and emotion".

(*) Genevieve Lloyd. Enlightenment Shadows. New York: Oxford University Press, 2013.
_______________

Saturday, September 21, 2013

CHAMBRE IMPÉRIALE

AM | @HDI1780

"...la bonne administration de la justice..." — d'Holbach

En étau entre plusieurs contributions de Boucher d'Argis (où Raynal est parfois cité : voir), CHAMBRE IMPÉRIALE, Jurisprud. & Hist. mod., publié dans le tome 7 de l'Encyclopédie, est l'un des articles non-scientifiques du baron d'Holbach [voir]. D'Holbach y retrace l'histoire du judicium camerale, le « premier tribunal de l'empire Germanique ». À lire l'article, on perçoit à quel point le baron vénère l'indépendance de la justice. C'est, à mon avis, l'un des traits les plus importants (et relativement méconnu) d'une pensée qui, à cet égard, rejoint celle de Raynal et Diderot.

* * *

La Chambre Impériale est un « respectable tribunal » ; s'il n'a pas rempli son rôle de façon tout à fait efficace, c'est en partie à cause du « peu d'exactitude que les princes d'Allemagne ont eu de payer les sommes nécessaires pour salarier ces juges ». Le salaire des juges ! Voilà précisemment l'un des critères-clé de l'indépendance de la justice, comme le souligneront Diderot dans ses Observations sur le Nakaz, Raynal dans l'Histoire des deux Indes, et Adam Smith dans la Wealth of Nations.
_____________

Thursday, September 19, 2013

ISLANDE

AM | @HDI1780

"Les habitans de l’Islande professent la religion luthérienne" — d'Holbach

Il y a quelques mois, en vacances à Buenos Aires où je garde mon édition de l'Encyclopédie (Livourne : 1773-1775), j'avais eu la chance de repérer quelques articles non-scientifiques du baron d'Holbach. Malheureusement, j'avais perdu mes notes peu de temps après. Je viens d'en récupérer une partie. Dans l'article ISLANDE (Géog.), le baron ne résiste pas à la tentation de dénigrer « les peuples énervés du Midi » : « Chez un peuple si intrépide le gouvernement absolu étoit ignoré, l’on y étoit fortement attaché à la liberté qui a toûjours été le partage des pays du Nord, tandis que l’asservissement a été celui des peuples énervés du Midi ».

* * *

Dans son remarquable livre La culture de Diderot, France Marchal attribue le mépris des peuples du Sud, que d'Holbach partage avec Diderot et Raynal, à l'un des « rares » préjugés de ... Montesquieu [1]. Ce préjugé aura de lourdes conséquences, puisqu'il mènera Napoléon Bonaparte à sous-estimer la capacité de résistance des Espagnols, ce qui donnera lieu finalement aux révolutions de 1810 en Amérique méridionale [2]. Mais revenons à ISLANDE et aux « maximes les plus remarquables » de l'Edda des Islandois :

« L’hôte qui vient chez vous a-t-il les genoux froids, donnez-lui du feu : celui qui a parcouru les montagnes a besoin de nourriture & de vêtemens bien séchés.

» Heureux celui qui s’attire la louange & la bienveillance des hommes ; car tout ce qui dépend de la volonté des autres, est hasardeux & incertain.

» Il n’y a point d’ami plus sûr en voyage qu’une grande prudence ; il n’y a point de provision plus agréable. Dans un lieu inconnu, la prudence vaut mieux que les trésors ; c’est elle qui nourrit le pauvre.

» Il n’y a rien de plus inutile aux fils du siecle, que de trop boire de biere ; plus un homme boit, plus il perd de raison. L’oiseau de l’oubli chante devant ceux qui s’enyvrent, & dérobe leur ame.

» L’homme dépourvu de sens, croit qu’il vivra toûjours s’il évite la guerre ; mais si les lances l’épargnent, la vieillesse ne lui fera point de quartier.

» L’homme gourmand mange sa propre mort ; & l’avidité de l’insensé est la risée du sage.

» Aimez vos amis, & ceux de vos amis ; mais ne favorisez pas l’ennemi de vos amis.

» Quand j’étois jeune, j’étois seul dans le monde ; il me sembloit que j’étois devenu riche quand j’avois trouvé un compagnon ; un homme fait plaisir à un autre homme.

» Qu’un homme soit sage moderément, & qu’il n’ait pas plus de prudence qu’il ne faut ; qu’il ne cherche point à savoir sa destinée, s’il veut dormir tranquile.

» Levez-vous matin si vous voulez vous enrichir ou vaincre un ennemi : le loup qui est couché ne gagne point de proie, ni l’homme qui dort de victoires.

» On m’invite à des festins lorsque je n’ai besoin que d’un déjeuner ; mon fidele ami est celui qui me donne un pain quand il n’en a que deux.

» Il vaut mieux vivre bien, que long-tems ; quand un homme allume son feu, la mort est chez lui avant qu’il soit éteint.

» Il vaut mieux avoir un fils tard que jamais : rarement voit-on des pierres sépulcrales élevées sur les tombeaux des morts par d’autres mains que celles de leurs fils.

» Les richesses passent comme un clin d’œil ; ce sont les plus inconstantes des amies. Les troupeaux périssent, les parens meurent ; les amis ne sont point immortels, vous mourrez vous-même : Je connois une seule chose qui ne meurt point, c’est le jugement qu’on porte des morts.

» Louez la beauté du jour, quand il est fini ; une femme, quand vous l’aurez connue ; une épée, quand vous l’aurez essayée ; une fille, quand elle sera mariée ; la glace, quand vous l’aurez traversée ; la biere, quand vous l’aurez bûe.

» Ne vous fiez pas aux paroles d’une fille, ni à celles que dit une femme ; car leurs cœurs ont été faits tels que la roue qui tourne ; la légereté a été mise dans leurs cœurs. Ne vous fiez ni à la glace d’un jour, ni à un serpent endormi, ni aux caresses de celles que vous devez épouser, ni à une épée rompue, ni au fils d’un homme puissant, ni à un champ nouvellement semé.

» La paix entre des femmes malignes est comme de vouloir faire marcher sur la glace un cheval qui ne seroit pas ferré, ou comme de se servir d’un cheval de deux ans, ou comme d’être dans une tempête avec un vaisseau sans gouvernail.

» Il n’y a point de maladie plus cruelle, que de n’être pas content de son sort.

» Ne découvrez jamais vos chagrins au méchant, car vous n’en recevrez aucun soulagement.

» Si vous avez un ami, visitez-le souvent ; le chemin se remplit d’herbes, & les arbres le couvrent bien-tôt, si l’on n’y passe sans cesse.

» Ne rompez jamais le premier avec votre ami ; la douleur ronge le cœur de celui qui n’a que lui-même à consulter.

» Il n’y a point d’homme vertueux qui n’ait quelque vice, ni de méchant quelque vertu.

» Ne vous moquez point du vieillard, ni de votre ayeul décrépit, il sort souvent des rides de la peau des paroles pleines de sens.

» Le feu chasse les maladies ; le chêne la strangurie ; la paille détruit les enchantemens ; les runes détruisent les imprécations ; la terre absorbe les inondations ; la mort éteint les haines ».

________

[1] France Marchal. La culture de Diderot. Paris : Honoré Champion, 1999. 


[2] Voir à ce sujet Agustin Mackinlay : « Une "heureuse révolution dans les idées" : l'Histoire des deux Indes et l'indépendance de l'Amérique méridionale », Alvar de la Llosa & Thomas Gomez (ed.) L'indépendance de l'Amérique andine et l'Europe (1767-1840). Université Paris Ouest Nanterre La Défense, 2011.

Tuesday, September 17, 2013

MORE ON SCHUMPETER & HELVÉTIUS

AM | @HDI1780

"Le génie est commun" — Helvétius

Joseph Schumpeter, writes Erik Reinert, "was uniquely skilled in following the mental filiations of economic thought through history". And he adds: "Schumpeter's reluctance to state his own intellectual filiations makes him appear more unique to posterity than he really was" (*). That's exactly right! As readers of this blog know, I have been able to trace some of Schumpeter key insights on innovation  the phrases new combinations and creative destruction, the meaning of genius, and others to the work of Eigtheenth-century French philosophes.

* * *

I'll come back to this story in further posts. Meanwhile, I leave you with the very eloquent first pages of Helvétius's De l'esprit, discours IV, chapitre 1:

Du Génie.

Beaucoup d’auteurs ont écrit sur le génie : la plupart l’ont considéré comme un feu, une inspiration, un enthousiasme divin ; & l’on a pris ces métaphores pour des définitions.

Quelque vagues que soient ces especes de définitions, la même raison cependant qui nous fait dire que le feu est chaud, & mettre au nombre de ses propriétés l’effet qu’il produit sur nous, a dû faire donner le nom de feu à toutes les idées & les sentimens propres à remuer nos passions, & à les allumer vivement en nous.

Peu d’hommes ont senti que ces métaphores, applicables à certaines especes de génie, tel que celui de la poësie ou de l’éloquence, ne l’étoient point à des génies de réflexion, tels que ceux de Locke & de Newton.

Pour avoir une définition exacte du mot génie, & généralement de tous les noms divers donnés à l’esprit, il faut s’élever à des idées plus générales ; &, pour cet effet, prêter une oreille extrêmement attentive aux jugemens du public.

Le public place également au rang des génies, les Descartes, les Newton, les Locke, les Montesquieu, les Corneille, les Moliere, &c. Le nom de génies qu’il donne à des hommes si différens suppose donc une qualité commune qui caractérise en eux le génie.

Pour reconnoître cette qualité, remontons jusqu’à l’étymologie du mot génie, puisque c’est communément dans ces étymologies que le public manifeste le plus clairement les idées qu’il attache aux mots.

Celui de génie dérive de gignere, gigno ; j’enfante, je produis ; il suppose toujours invention : & cette qualité est la seule qui appartienne à tous les génies différens.

Les inventions ou les découvertes sont de deux espèces. Il en est que nous devons au hasard ; telles sont la boussole, la poudre à canon, & généralement presque toutes les découvertes que nous avons faites dans les arts.

Il en est d’autres que nous devons au génie : &, par ce mot de découverte, on doit alors entendre une nouvelle combinaison, un rapport nouveau apperçu entre certains objets ou certaines idées. On obtient le titre d’homme de génie, si les idées qui résultent de ce rapport forment un grand ensemble, sont fécondes en vérités, et intéressantes pour l’humanité (I).

Or, c’est le hasard qui choisit presque toujours pour nous les sujets de nos méditations. Il a donc plus de part qu’on n’imagine aux succès des grands-hommes, puisqu’il leur fournit les sujets plus ou moins intéressans qu’ils traitent, & que c’est ce même hasard qui les fait naître dans un moment où ces grands-hommes peuvent faire époque.

(I) Le neuf & le singulier, dans les idées, ne suffit pas pour mériter le titre de génie ; il faut, de plus, que ces idées neuves soient ou belles, ou générales, ou extrêmement intéressantes.
____________

(*) Erik S. Reinert: "Steeped in Two Mind-Sets: Schumpeter in the Context of Two Canons of Economics" in Jürgen Backhaus (ed.) Jospeh Alois Schumpeter. Entrepreneurship, Style and Vision. Dordrecht: Kluivert, 2003, p. 262.

Sunday, September 15, 2013

RUTLAND


« ...au défaut d’équilibre entre les différentes autorités » — De Jaucourt

AM | @HDI1780

RUTLAND est un article étonnant. Cette « province méditerranée d’Angleterre, dans le diocese de Peterborough » fournit au Chevalier de Jaucourt l'excuse d'une intéressante biographie intellectuelle de James Harrington (1611-1677), l'auteur de Oceana, texte suivi de près par ceux qui s'intéressent à l'histoire du gouvernement mixte et de l'équilibre des pouvoirs. « Je me suis étendu contre ma coutume, sur cet ouvrage profond, parce qu’il est peu ou point connu des étrangers », annonce de Jaucourt. Excellente idée !

* * *

De Jaucourt mentionne  « le recueil de tous les ouvrages de ce beau génie, paru à Londres en 1737, in-folio ; sur quoi, voyez biblioth. Britan. tom. IX. part. II. art. 10. » Il s'agit vraisemblablement de l'édition de John Toland, publiée en 1737, reproduite par Google Books [voir]. John Adams était un fervent lecteur de Harrington ; c'est dans l'Oceana qu'il puisera la fameuse expression "an empire of laws, and not of men." (1, 2). La brève synthèse du chevalier de Jaucourt est particulièrement utile, puisqu'elle renvoie à deux idées importantes de l'Histoire des deux Indes (*):

[1] Il n'y a pas de despotisme éclairé. « Il soutenoit que tant que la balance demeureroit inégale, il n’y a pas de prince qui pût être hors d’atteinte (quelqu’attentif qu’il fût à se rendre agréable au peuple), & que quoiqu’un bon roi pût ménager passablement les choses pendant sa vie, cela ne prouvoit point que le gouvernement fût bon, puisque sous un prince moins prudent, l’état ne pourroit manquer de tomber en desordre ; au lieu que dans un état bien réglé, les méchans deviennent gens de bien, & les fous se conduisent sagement. » Ceci ressemble assez à HDI 1780, xix.2, paragraphe 27.

[2] Il n'y pas d'autorité sans propriété. « Il est le premier qui ait prouvé que l’autorité suit la propriété, soit qu’elle réside entre les mains d’un seul, d’un petit nombre, ou de plusieurs ». Voici HDI 1780, xix.2, paragraphe 56 :  « ...la souveraineté illimitée ne peut avoir des sujets, parce qu’elle ne peut avoir des propriétaires; qu’on ne commande qu’à ceux qui ont quelque chose, & que l’autorité cesse sur ceux qui ne possèdent rien...» (texte de Diderot). 

(*) La pensée politique de James Harrington est également étudiée dans le contexte de l'interaction entre les sciences naturelles et les sciences sociales, thème cher à Diderot. Voir I. Bernard Cohen. Interactions between the natural sciences and the natural sciences. MIT Press, 1994.
______________

Monday, September 9, 2013

THE AJAX DILEMMA


AM | @HDI1780

"...une jurisprudence favorable aux débiteurs" — Raynal

Chapter 54 of Book XIII of Histoire des deux Indes (1780) contains one of the most important explanations of what I call the "institutional theory of credit markets" [see]. Raynal singles out the lack of credit as the key shortcoming of French colonial administration. (The idea, already present in the 1770 edition, had a tremendous impact on Adam Smith's Wealth of Nations). According to Raynal, grave deficiencies in the judiciary —he refers to justice asiatique, a clin d'oeil in the direction of François Bernier [see]— are to blame for the chronic scarcity of credit in the colonies.

* * *

In the 1780 edition, Denis Diderot adds a passage from his Observations sur le Nakaz:

Mais la prospérité publique peut-elle augmenter, lorsqu’on foule aux pieds la justice; lorsque le ministère encourage la mauvaise foi en lui offrant un asyle sous la protection de la loi, car si la loi ne poursuit pas elle protège; [...] lorsque des emprunts, sans aucune sorte de garantie, seront devenus impossibles ou ruineux; lorsque le brigandage de l’usure s’exercera sans aucun frein qui le retienne; lorsqu’il n’y aura plus de crédit, ni au-dehors ni au-dedans de l’état...? (HDI 1780, xiii.54).

This is a version of one of the many dilemmas found in Sophocles' tragedy Ajax [1]. A powerful ruler will always be in a position to twist judicial decisions in his favor. (Agamemnon wants lo leave the body of Ajax unburied). But such behavior, in the end, is bound to have catastrophic consequences for ... the ruler himself. Now, my ancient Greek is (almost) non-existant. But I have little doubt that Diderot derived this idea from Odysseus' reply to Agamemnon, towards the end of Ajax:

Ἄκουέ νυν. Τὸν ἄνδρα τόνδε πρὸς θεῶν μὴ τλῇς ἄθαπτον ὧδ᾽ ἀναλγήτως βαλεῖν·μηδ᾽ ἡ βία σε ηδαμῶς νικησάτω τοσόνδε μισεῖν ὥστε τὴν δίκην πατεῖν. Écoutez-moi donc. Gardez-vous, au nom des Dieux, d'oser inhumainement priver cet homme des honneurs du tombeau. Ne vous laissez pas subjuguer par le sentiment de votre pouvoir ; qu'il n'aigrisse pas votre haine, jusqu'à vous faire fouler aux pieds la justice [2].

"Fouler aux pieds la justice"! Diderot is inserting one of Sophocles' dilemmas into a passage of Histoire des deux Indes on credit markets. There is, of course, much to be said about Diderot and his Greek and Roman sources — and even about his Biblical sources [see]. Maybe I'll venture in that direction some day. But let me finish this post with the following thought: Who ever said that Histoire des deux Indes was a mediocre book? Can't we see what's going on here? This is the work of a sublime genius!

Bravo Diderot! Bravo Raynal! Encore ! Encore !

[1] See Paul Woodruff. The Ajax Dilemma. Justice, Fairness and Rewards. Oxford University Press, 2011.

[2] M. de Rochefort. Théâtre de Sophocle. Paris: Nyon, 1788, p. 174. I have yet to find a French edition of Sophocles from the 1770s with Ulysses' words translated as fouler aux pieds la justice. This is my only doubt here. Diderot used this expression on many occasions. In this 1777 edition by M. Dupuis, Odysseus' reply is translated differently: "...n'ayez pas l'inhumanité d'empêcher qu'Ajax ne soit honoré de la sépulture. Que la haine n'aie pas assez d'empire sur vous, pour faire servir votre pouvoir à fouler les lois de l'équité" (p. 243). 
____________

Wednesday, July 31, 2013

GIBBON & D'ALEMBERT

AM | @HDI1780

"...on lit encore les anciens, mais on ne les étudie plus" — Gibbon

Why do so many works of the Enlightenment yield so few references, quotes and footnotes? Histoire des deux Indes is a case in point. Raynal does cite some of his sources, but the harvest is far from plentiful, considering the enormous size of his ouvrage. Some big names are acknowleged, both from Anciens (Thucydides and Polybius) and Modernes (Locke and Montesquieu). Vanity, no doubt, played a major role. In some cases, prudence dictated a considerable dose of discrétion with sources. Helvétius, for one, told Hume that fear of censorshisp had prevented him from quoting the Scottsman more often in De l'esprit. The same principle is clearly at work in Río de la Plata prior to 1810.

* * *

But here's a complementary hypothesis: many authors wanted to avoid the stigma attached to what young Edward Gibbon called "le nom flétrissant d'érudit". In his Discours préliminaire, d'Alembert notes that "[le] mépris est aujourd'hui retombé sur l'Erudition". This is surely the reason why Turgot's well-known latin verse about Benjamin Franklin —Erupuit coelo fulmen, sceptrumque tyrannis— is quoted in French, while its author is not even mentioned:

IL ARRACHA LA FOUDRE AU CIEL ET LE SCEPTRE AUX TYRANS (HDI 1780, xviii.40)

In his youthful and remarkable Essai sur l'étude de la littérature (1761), written in French, Gibbon takes the side of érudits, and blasts d'Alembert's notorious suggestion that there should be an annual stock-taking of the annals of the past, with the rubbish being committed to the flames:

Remarque sur une idée de M. d'Alembert. LIII. Ne suivons point le conseil de cet écrivain qui unit, comme Fontenelle, le savoir & le goût. Je m'oppose, sans crainte du nom flétrissant d'érudit, à la sentence, par laquelle ce juge éclairé, mais sévère, ordonne qu'à la fin d'un siècle on rassemble tous les faits, qu'on en choisisse quelques uns, & qu'on livre le reste aux flammes. Conservons-les tous précieusement. Un Montesquieu démêlera dans les plus chétifs des rapports inconnus au vulgaire (p. 72).

The half-polémique Gibbon-d'Alembert is thus a useful reference for those who wish to understand the paucity of quotations in Histoire des deux Indes and other books (*). And although Mariano Moreno's reasons are somewhat different —he rejected scholarship in order to create a republican vocabulaire—, he too felt the weight of d'Alembert's rejection of scholasticism.
________________

(*) See W.B. Carnochan. Gibbon's Solitude. The Inward World of the Historian (Stanford University Press, 1987); Roy Porter. Gibbon. Making History (London: Orion Books, 1988, pp. 54-57); "The Enlightenments of J. G. A. Pocock": Two reviews of John G. A. Pocock, Barbarism and Religion, Vol. 1 The Enlightenments of Edward Gibbon and Vol. 2 Narratives of Civil Society (Cambridge: Cambridge University Press, 1999).

Monday, July 29, 2013

MABLY

AM | @HDI1780

"...cette multitude de contreforces" — Mably

Raynal a-t-il lu les Doutes proposés au philosophes économistes sur l'ordre naturel et essentiel des sociétés politiques (1768) de l'abbé Mably ? Sans doute ! Le chapitre 35 du Livre XVIII reproduit l'expression-clé du livre, à savoir le « système des contre-forces » (p. 185).  Mais il ne s'agit pas seulement d'une question de vocabulaire. En effet, l'Histoire des deux Indes reprend l'argument envisagé par Mably sur l'origine du système des contre-forces : l'inégalité dans la distribution de la propriété. Quelques chapitres plus tard, Diderot étend cette idée à l' « inégalité naturelle » (force, talents, etc.).

* * *

Ces textes de Mably (Lettre X, p. 312), Raynal (HDI 1780, xviii.35) et Diderot (HDI 1780, xviii.42) constituent la clé de voûte de la pensée de James Madison dans le Fédéraliste No. 10. L'inégalité sera toujours là ; il est inutile de nier son existence ; seules les contre-forces peuvent en modérer les effets pervers. Mais alors que Mably rêve d'utopies rétroactives et méprise le commerce, l'HDI fait l'apologie de la « communication des peuples » ; plus modernes, Raynal et Diderot refusent de parler de « gouvernement mixte ». Et si Mably défend l'idée d'un pouvoir exécutif collégial, l'Histoire des deux Indes anticipe le Fédéraliste et la nécessité d'un exécutif unipersonnel.

Certes, Madison ira encore plus loin que Raynal et Diderot : car il entrevoit, à partir de ces mêmes idées, la possibilité d'une république à grande échelle. Mais n'oublions pas Mably pour autant !
_____________

Friday, July 26, 2013

ADAMS TO RAYNAL, JANUARY 5, 1782

AM | @HDI1780

John Adams writes to Guillaume-Thomas Raynal from Amsterdam in early 1782. Raynal is already in his Belgian exile. (I am reproducing the text and footnotes from the magnificent online collection of the Massachusetts Historical Society).  After Yorktown, the tone had changed with respect to Histoire des deux Indes: American revolutionaries were casting a critical eye over many passages written by Raynal on North America in Book XVIII. Paine, Mazzei, Washington and Jefferson would soon follow in Adams' footsteps.

* * *

Note the use of the word "pathetic", which corresponds to the more inspiring French pathétique [see]. Among the founders of the new republic, Histoire des deux Indes only mentions five men: "Hancok (sic), Franklin, les deux Adams furent les plus grands acteurs dans cette scène intéressante: mais ils ne furent pas les seuls" (xviii.45); a little later we read about "Leur chef, Wasington (sic)" (xviii.46). This may have infuriated Thomas Jefferson, because the mentions come just before the translation of the Declaration of Independence, with no reference to its main author [see]. Here's a link to Staatsomwenteling van Amerika, the Dutch translation mentioned in the letter.

To the Abbé Raynal
Author: JA
Recipient: Raynal, Guillaume Thomas François, Abbé
Date: 1782-01-05

Amsterdam January 5. 1782

Dr Sir

I have the Honour to transmit you, the Revolution of America, translated into the Sublimest Language of Europe, if we are to believe the People of the Netherlands, who alone understand it. The Compliment paid to four Characters among whom I am Supposed to be one in this History, no doubt induced the Editor to dedicate it {p. 172} to me: be this however as it may, I would not exchange the Small Share which belongs to me in that pathetic Testimony from So distinguished a Friend of Truth, Liberty and Humanity, for a Statue of Bronze or Marble to be erected in honour of me, by the first Monark of the World in the Market street of Philadelphia.1

I am however, very unhappy to find so many Mistakes in Point of Fact, because coming from so great an authority they will be taken for certain, and have an ill Effect.2

My Friend Edmund Jennings Esqr, a Gentleman whose Principles Sentiments and Disposition I think will be agreable to you, will have the Honour to deliver you this Letter.3 He resides at Brussells, and is very agreable Company.

LbC Adams Papers.

1. Abbé Guillaume Thomas François Raynal, Staatsomwenteling van Amerika. Uit het Fransch, Amsterdam, 1781. Two copies are among JA’s books at MB ( Catalogue of JA’s Library ). For the various printings and translations of Raynal’s work, see vol. 10:405. The dedication reads, “Zyner excellentie John Adams schildknaap gevolmagtigden staatsdienaar der vereenigde staaten van Amerika, edelmoedigen bevorderaar van de onafhanklykheid dier volkplantingen, wordt dit werk onderdaanigst opgedraagen, door zyner excellentie’s Zeer eebiedigenden Dienaar willem holtrop.” Translation: To his Excellency, John Adams Esqr., plenipotentiary officer of the United States of America, noble proponent of the independence of those colonies, this work is most humbly dedicated, by his Excellency’s very respectful servant Willem Holtrop. Raynal’s attribution of the leading roles in the adoption of the Declaration of Independence to John Hancock, Benjamin Franklin, and the two Adamses appeared on p. 76 of the Dutch edition.

2. See On the Abbé Raynal’s Révolution de l’Amérique, 22 Jan., below.

3. JA enclosed this letter in one to Jenings that has not been found (from Raynal, 18 Jan., below).
______________

Tuesday, July 23, 2013

RÉVOLUTIONS DU LANGAGE


« Les révolutions du langage » — Condorcet

AM | @HDI1780

L'article ENCYCLOPÉDIE de Diderot contient de nombreuses références au processus de formation d'une langue. Une langue est un phénomène vivant, dynamique, sans cesse rénvové selon les circonstances et selon le rythme des progrès de l'esprit humain :

* ENCYCLOPÉDIE, s. f. (Philosoph.) Ce mot signifie enchaînement de connoissances ; il est composé de la préposition grecque ἐν, en, & des substantifs ϰύϰλος, cercle, & παιδεία, connoissance [...] Notre langue est déjà fort étendue. Elle a dû, comme toutes les autres, sa formation au besoin, & ses richesses à l’essor de l’imagination, aux entraves de la poésie, & aux nombres & à l’harmonie de la prose oratoire. Elle va faire des pas immenses sous l’empire de la Philosophie [...] Sur la seule comparaison du vocabulaire d’une nation en différens tems, on se formeroit une idée de ses progrès [...] inventer une infinité de signes.

Il survient chez tous les peuples en général, relativement au progrès de la langue & du goût, une infinité de révolutions légeres, d’évenemens peu remarqués, qui ne se transmettent point : on ne peut s’appercevoir qu’ils ont été, que par le ton des auteurs contemporains ; ton ou modifié ou donné par ces circonstances passageres [...] Le bon esprit qui recueille ces expressions, qui saisit ici une métaphore, là un terme nouveau, ailleurs un mot relatif à un phénomene, à une observation, à une expérience, à un système, entrevoit l’état des opinions dominantes, le mouvement général que les esprits commençoient à en recevoir.

Ces révolutions rapides [...] C’est la chaleur de l’imagination & la méditation profonde qui enrichissent une langue d’expressions nouvelles.


* * * 

Dans un compte-rendu du livre de Jean-Louis De Lolme, un Journal historique dédié à l'affaire Maupeou remarque en 1771 que « l' Écrivain s'est quelquefois permis des termes nouveaux, non par un néologisme ridicule, mais pour mieux rendre sa pensée & lui donner plus d'énergie : ce qui arrive presque toujours » (p. 238). Dans son « Discours prononcé dans l'Académie françoise, le jeudi 15 juin 1785 », André Morellet, qui en 1769 avait lancé le Prospectus d'un nouveau dictionnaire de Commerce, se vante d'avoir eu à « rectifier & compléter le vocabulaire de cette science » (p. 7).

Et puis Condorcet parlera des « révolutions du langage, révolutions qui sont liées avec l'histoire des opinions & celles des progrès de l'esprit humain » (p. 17). Ces citations nous permettent de mieux cerner l'objectif poursuivi par Mariano Moreno au Río de la Plata alors qu'il traduit, réécrit et paraphrase des centaines d'expressions françaises — beaucoup d'entre elles tirées de l'Histoire des deux Indes [voir] (*). En effet, Moreno est en train de créer un langage. Plus précisemment, il crée un vocabulaire républicain qui, à l'horizon 1810, n'existe toujours pas en espagnol.

Révolution du langage !

Deux remarques :

(1) L'Histoire des deux Indes est une importante source de vocabulaire (je pense notamment à la « régénération », à Moreno, à Jovellanos). Mais ses auteurs utilisent eux aussi une quantité non négligeable d'idées et d'expressions tirées de leurs propres lectures (voir les cas d' Helvétius et de De Lolme). En matière de vocabulaire, le livre est donc à la fois récepteur et pourvoyeur. 

(2) Les moteurs de recherche sur internet sont en train d'ouvrir une immense carrière. Nous avons désormais à notre disposition des outils qui nous permettent de mieux comprendre les « révolutions du langage » au XVIIIe siècle. C'est l'un des objectifs que je me propose d'atteindre dans mes études sur Mariano Moreno. 

(*) Moreno connaissait Morellet puisqu'il traduira (en partie) les Observations sur la Virginie (1787), la version française des Notes on the State of Virginia de Thomas Jefferson [voir]. En août 1810, les commerçants anglais font une contribution à la nouvelle bibliothèque nationale fondée par Moreno ; dans la liste des ouvrages, on trouve le livre de ... Jean-Louis De Lolme. Il connaissait de même, cela va sans dire, l'Encyclopédie et les écrits de Condorcet.
_______________

Friday, July 19, 2013

IT'S JOHN ADAMS!

AM | @HDI1780

"... secresy and dispatch... — George Washington

Time to drastically downgrade my claims about the precedence of Histoire des deux Indes as the source of the phrase secrecy and dispatch, widely used in America in the context of the executive power. I had forgotten to include John Adams's wonderful pamphlet "Thoughts on Government" (April 1776): "A representative assembly, although extremely well qualified, and absolutely necessary, as a branch of the legislative, is unfit to exercise the executive power, for want of two essential properties, secrecy and despatch."

Sorry about that! (Still, it's two steps forward, one step back).

* * *

Yet I remain confident about another claim: it was Diderot who first used these magic words in the context of the executive power [see]. Adams, a keen reader of Polybius, Encyclopédie and De Lolme, might have taken them from the English translation of The Constitution of England, and transmitted the idea back to Raynal in 1779. If this was indeed the case, then Raynal (and not Diderot) is the likely author of the changes introduced in the 1780 edition of HDI with respect to the government of England. (These passages do not feature in Laurent Versini's edition of Œuvres, Tome III).

Confusing? Sure. But the confusion only underlines the validity of another of my claims: ideas and rhetorical expressions circulated widely and ...very quickly! Anyway, here are more examples of the phrase secrecy and dispatch:

. Burke. "A detachment was sent to destroy a Magazine which the Americans were forming at a Village they call Concord. It proceeded with secrecy and dispatch." To Charles O'Hara, circa May 1775 [see].

. Raynal. "The expeditions are by these means carried on with greater secrecy and dispatch". This is interesting, because it comes from the 1776 translation of HDI published by J. Justamond in Dublin. This may be the edition so eagerly read by George Washington, and recommended to him by La Fayette. Note that the corresponding passage, by Alexandre Deleyre, does not refer to secret et célérité, but to "plus secretes & plus promptes" [see]. A Philosophical and Political History of the Settlements and Trade of the Europeans on the Continent of North America, Vol. 4. Dublin: 1776, p. 464 [see].

. Raynal. "Il résulte d'un ordre de choses si compliqué que les résolutions qui exigeroient le plus de secret & de célérité, sont nécessairement lentes & publiques" (xix.2, p. 91). This is the second instance in HDI 1780 where the words are explicitely used in the context of the executive power — in the Netherlands in this case.


. Grimm. "...le salut d'une puissance dépend souvent de la célérité de ses mesures ... l'éxécution des projets ... il lui faut du secret" (1757) [see]. See also Allan Ramsay's letter about Beccaria, translated by Diderot in 1766: "... la force et la célérité de la puissance éxécutrice" (p. 549).

___________

Wednesday, July 17, 2013

IT'S DIDEROT!

AM | @HDI1780

"...en Angleterre, ce sont les deux chambres & le roi" — Diderot

Before the publication of the Federalist papers, the clearest statement about the advantages that a unitary executive derives from "secrecy and dispatch" comes from Histoire des deux Indes (xix.2, paragraph 82, p. 78) [see]. But who penned that paragraph? Denis Diderot or Guillaume-Thomas Raynal? With the help of GoogleBooks, I have searched previous works of Raynal, such as Histoire du Parlement d'Angleterre and Histoire du Stathoudérat, and I found no traces of secret, célérité.

* * *

I am pretty sure that the phrase comes from translations of Polybius's Histories. We find it in works by David Hume, Jean-Louis De Lolme, and others (*). But now look at Encyclopédie's article LÉGISLATEUR (1751), by Diderot: "...& c’est ici le triomphe du gouvernement monarchique ; c’est dans la guerre sur-tout qu’il a de l’avantage sur le gouvernement républicain ; il a pour lui le secret, l’union, la célérité, point d’opposition, point de lenteur." Diderot seems to be the only author —before the Federalist papers,— who mentions these magic words in the context of the executive power.

So it's Diderot!

It's time for some conclusions:

(1) Sources. Is Histoire des deux Indes a key source of the Federalist papers? The more I think about it, the more it seems to make sense. A good part of Madison's No. 10 seems to be based on Diderot's chapters 35 and 42 of Book xviii of HDI. (I presented that argument in my book). The same could be said of Hamilton's No. 70.

(2) Mixed government. As the editors of The Founders' Constitution put it, the single executive power is the point at which the old Greek theory of mixed governent and the modern theory of the separation of powers meet. Brilliant!

(3) Political thought. There is no such thing as a "pure" American, English or French political thought. Authors borrowed extensively from each other; books, pamphlets and letters crossed the Channel and the Atlantic in the same vessels that transported goods and ... human beings.

(4) Greek authors. In the end, the top Enlightenment thinkers were the ones that mastered their Latin and Greek sources; among other things, it gave them a key advantage in terms of the felicity of their rhetorical expression. Quick! Time to perform my exercises from Lesson four of 40 Leçons pour découvrir le grec ancien:

O κὀσµoς εστi µακρóς, etc.

(*) David Hume: "...such was the resolution, secrecy and dispatch with which he conducted this enteprise" (History of England) [see]; John Marshall: "....notwithstanding the secrecy and dispatch that were used..." [see]; Guillaume-Thomas Raynal: "L'exécution de ce projet exigeoit une grande célérité, un secret impénétrable..." (HDI 1780, vi.10); De Lolme: "...and military Messengers were sent with every circumstance of secrecy and dispatch..." [see].
______________

Monday, July 15, 2013

SECRECY & DISPATCH

AM | @HDI1780

"...resolution, secrecy, and dispatch... — David Hume

When it comes to constitutional principles, one of the most spectacular differences between the American and the French revolutions relates to the nature of the executive power. While most American writers favored a strong and unitary executive power —especially after the semi-anarchy of 1783-1787—, the vast majority of French writers called for a subordinated and plural executive. To the extent that its authors embraced the "English" view as described by Jean-Louis De Lolme, Histoire des deux Indes is something of an exception. In May 1791, Raynal himself, at the age of 78, courageously defended this position in Assemblée nationale, to the dismay of ... Maximilien Robespierre.

* * *

After spending an entire hour with Google Books' search functions and the words "secrecy, secresy, dispatch, despatch, célérité, secret", I have come to the (preliminary) conclusion that Histoire des deux Indes is indeed a key source of ... American constitutionalism! (I have already mentioned the striking similarities between Diderot and Madison: see). Ever since the constitutional debates of 1787-1788, the phrase secrecy and dispatch has played a major role in shaping the debates about the nature of the executive power. The phrase shows up in translations of Polybius, and was widely used by eigthteenth-century historians (*).

But it's HDI 1780 (xix.2, paragraph 82, p. 78) that provides the clearest modern definition of the broad features of a strong, unitary executive:

Toutes les histoires attestent que par-tout où le pouvoir exécutif a été partagé, des jalousies, des haînes interminables ont agité les esprits, & qu’une lutte sanglante a toujours abouti à la ruine des loix, à l’établissement du plus fort. Cette considération détermina les Anglois à conférer au roi seul cette espèce de puissance, qui n’est rien lorsqu’elle est divisée; parce qu’il n’y a plus alors, ni cet accord, ni ce secret, ni cette célérité, qui peuvent seuls lui donner de l’énergie.

American constitutionalism:

Alexander Hamilton. "That unity is conducive to energy will not be disputed. Decision, activity, secrecy, and dispatch will generally characterise the proceedings of one man, in a much more eminent degree, than the proceedings of any greater number; and in proportion as the number is increased, these qualities will be diminished." (Federalist No. 70, 1788). See also footnote 6 here: "...with all possible secrecy and dispatch".

. John Jay. "...perfect secrecy and immediate despatch are sometimes requisite [....] we heretofore suffered from the want of secrecy and despatch [...] those matters which in negotiations usually require the most secrecy and the most despatch". (Federalist No. 64, 1788).


. George Mason. Altough opposed to a one-man executive, Mason acknowledged that executive unity furthered "the Secrecy, the Dispatch, the Vigour and the Energy" of the government" [see].

. James Wilson. "The advantages of monarchy are strength, dispatch, secrecy, unity of counsel [...] Secrecy may be as equally necessary as dispatch. But can either secrecy or dispatch be expected, when, to every enterprise, mutual communication, mutual consultation are indispensably necessary?" See his "Speech in the Pennsylvania Convention", 24 November 1787 [see].

. George Washington. "I hope the business will be essayed in a full Convention—After which, if more powers, and more decision is not found in the existing form—If it still wants energy and that secresy and dispatch (either from the non-attendance, or the local views of its members) which is characteristick of good Government". George Washington to James Madison, 31 March 1787 [see].

. James Iredell. "One of the great advantages attending a single Executive power is, the degree of secrecy and dispatch with which, on critical occasions, such a power can act [...] From the nature of the thing, the command of armies ought to be delegated to one person only. The secrecy, despatch, and decision, which are necessary in military operations, can only be expected from one person", 1787 [see]

British writers:

. Richard Price. "Liberty, though the most essential requisite in government, is not the only one; wisdom, union, dispatch, secrecy, and vigour are likewise requisite; and that is the best form of government which best unites all these qualities [...] One of the best plans of this kind has been, with much ability, described by Mr. De Lolme, in his account of the Constitution of England" [see].

. Adam Ferguson. "Occasions on which the executive must be exerted, are either continual or casual; and in case of danger from abroad, require secrecy and dispatch [...] The resolutions of the executive require more secrecy and dispatch that can be had in any numerous or popular assemblies", Institutes of Moral Philosophy, 1786, pp. 202-203. 

. Adam Ferguson. "Of the functions of executive power, some are in continual exertion; others, wether casual or periodical, are only occasional. Some require great secrecy and dispatch; other admit of being publicly known, and may be the better directed for having been publicly discussed", Principles of Moral and Political Science, Vol. II. London: A. Strahan and T. Cadell, 1792, p. 485.

(*) "...par le secret & la célérité d'une marche inopinée & bien concertée", Histoire de Polybe. Amsterdam: 1751, p. 124 [see]; "...and Polybius, the historian, who was at Rome, was one of those who pressed him with the utmost warmth to put it in execution with secrecy and dispatch", The Antient History, Vol. VII. London: 1806, p. 341; "Mahomet étoit pénétré de cette maxime, que le secret et la célérité sont deux grands moyens pour réussir dans les grandes entreprises, et surtout dans celles de la guerre", Histoire du Bas-Empire. Paris: 1768. And much more to come...
___________________

Saturday, July 13, 2013

FROM HUME TO DE LOLME

AM | @HDI1780

"L'esprit de philosophie qui distingue ce siècle" — De Lolme

More ruminations on the dramatic changes introduced in the 1780 edition of Histoire des deux Indes with respect to the notion of mixed government and the English constitution. In the 1774 edition, in a separate volume originally published as Tableau de l'Europe, Alexandre Deleyre makes an oblique reference to David Hume: "Un écrivain philosophe & politique, qui connoît la constitution de son pays, dit que la corruption est nécessaire, pour arrêter la pente du Gouvernement vers la démocratie ; & que le Peuple deviendroit trop puissant, si le Roi n'achetoit les Communes" (p. 23).

This is the well-known Humean idea of corruption as a counterpoise to the prerogatives of Parliament ("Of the independency of Parliament", 1741). Hume's influence is also felt in the choice of words: "L'ouvrage [...] du raisonnement & de l'expérience" (p. 23). But look at what happens in 1780. Gone are the implicit references to David Hume; his place has been taken by the (undeservedly) forgotten Swiss writer —and Rousseau's intellectual foe— Jean-Louis De Lolme [see] (*). Raynal introduced these changes with a sense of urgency. Indeed, De Lolme states that "chacun semble aujourd'hui tourner les yeux" towards the English Constitution.

* * * 

I can think of three main reasons to explain the choice of La Constitution de l'Angleterre as a better guide to the British political system:

(1) Influence. The book was tremendously successful and, by the time Raynal was preparing his own revision of HDI, a new edition had been published, as well as an influential English translation [see]. John Adams, who in 1779 discussed politics with Raynal on a regular basis while in Paris, called De Lolme's book "the best defence of the political balance of three powers that ever was written".

(2) Method. Almost thirty years had passed since the publication of Hume's essay. De Lolme's account was seen as more up-to-date; crucially, the Swiss author railed against any account of the British political system that was "purely speculative", a reference to the writings of the beau génie of Montesquieu and, one would think, of Hume himself (who is only quoted as the author of the History of England). The authors of HDI shared similar concerns with the excesses of esprit systématique.

(3) Language. In line with the overall progress of the "republican spirit" in the second half of the century, De Lolme avoids any mention of the mixed constitution. There is talk of équilibre and contrepoids, but old Greek categories such as aristocracy and oligarchy are barely mentioned at all. In fact, he was credited with the creation of a new terminology — which was bound to seduce the authors of HDI. [see].

(*) See David Wootton (ed.) The Essential Federalist and Anti-Federalist Papers. Indianapolis: Hackett Publishing Company, 2003, p. xxxiii.
______________

Thursday, July 11, 2013

DE LOLME & HISTOIRE DES DEUX INDES

AM | @HDI1780

"...c'est la Puissance Royale qui est ce contrepoids" — De Lolme

I have already noted that, under pressure from events in North America, Guillaume-Thomas Raynal introduced some pretty significant changes to the 1774 edition of Histoire des deux Indes in the paragraphs devoted to England's "mixed government" (1, 2, 3). As it turns out, the 1780 revision is more extensive than I had originally thought. And it borrows heavily from the first edition of Jean-Louis De Lolme's La Constitution de l'Angleterre (Amsterdam, 1771):

La première singularité du Gouvernement de l'Angleterre, à titre d'Etat libre, c'est d'avoir un roi. (De Lolme, xi, p. 142).

La première singularité heureuse de la Grande-Bretagne est d’avoir un roi. (HDI 1780, xix.2, p. 75).

_____________

C'est en faisant un grand & un très-grand citoyen, qu'on a empêché qu'il ne s'en élevât plusieurs . (De Lolme, xi, p. 143).

En créant un très-grand citoyen, l'Angleterre a empêché qu’il ne s’en élevât plusieurs. (HDI 1780, xix.2, p. 75).
_____________


La seconde singularité que l'Angleterre, comme ne formant qu'un seul Etat & un Etat libre, offre dans sa Constitution, c'est la division de la Puissance législative. (De Lolme, xi, p. 162)

Un plus grand appui encore pour la liberté Angloise, c’est le partage du pouvoir législatif. (HDI 1780, xix.2, p. 75).
_____________

La grandeur des prérogatives... (De Lolme, xi, p. 150).



De cette grande prérogative...(HDI 1780, xix.2, p. 78).
_____________


Thereafter, Histoire des deux Indes gently drifts away from De Lolme. Still, the text includes a crucial statement on the executive power, possibly taken from the 1775 English translation of De Lolme, which features two words —secret, célérité, secrecy, dispatch— that will inspire America's founding fathers and their views on the nature of the executive branch [see]:

Toutes les histoires attestent que par-tout où le pouvoir exécutif a été partagé, des jalousies, des haînes interminables ont agité les esprits, & qu’une lutte sanglante a toujours abouti à la ruine des loix, à l’établissement du plus fort. Cette considération détermina les Anglois à conférer au roi seul cette espèce de puissance, qui n’est rien lorsqu’elle est divisée; parce qu’il n’y a plus alors, ni cet accord, ni ce secret, ni cette célérité, qui peuvent seuls lui donner de l’énergie (HDI 1780, xix.2, p. 78) (*).

(*) De Lolme: "...with every circumstance of secrecy and dispatch" (1784, xvii). I have been unable to find a Google Books-digitized version of the 1775 English edition. In 1778, Richard Price credited De Lolme with this definition of good government: "...wisdom, union, dispatch, secrecy and vigour" [see]. These magic words also feature in Adam Ferguson's Essay on the History of Civil Society (1767) although, again, I have been unable to find the original version of that book.

_____________

Sunday, July 7, 2013

CONDORCET ET « L'INDÉPENDANCE » (II)

« Plus qu'à la séparation des pouvoirs, il croit à la limitation des pouvoirs » — Elisabeth et Robert Badinter

AM | @HDI1780

J'essaie de toujours citer soigneusement mes sources. Même si cela faisait longtemps que je méditais quelques lignes sur Condorcet et l'indépendance, je me rends compte maintenant que le déclic est arrivé après la lecture de l'excellent article de Lorraine Datson (*). La notion d'indépendance est, selon Mme Datson, la pierre angulaire de la pensée de Condorcet :

What lumières made possible, according to Condorcet, was independence: the homme éclairé knew his rights before the law, enough mathematics and science not to be duped by charlatans or scarified by priests, and the difference between fact and opinion [...] The kind of life made possible by independence is a recurring theme in Condorcet's writings [...] But what made independence not just desirable, but virtuous? The answer must be framed largely in negative terms, as a reply to the converse question: what made dependence vicious? Condorcet assumed that dependence, whether financial or intellectual, inevitably corrupts both parties to the relationship. 

Credit where credit is due!

* * * 

Cela dit, ce qui m'intéresse vraiment dans les écrits de Condorcet (mis à part l'innovation), c'est la conception de l'indépendance de la justice, du Trésor, et de la banque chargée d'émettre les assignats. Voici le Plan de Constitution présenté à la Convention Nationale (1793) au sujet de l'indépendance de la justice : « L' indépendance absolue des fonctions judiciaires est le bouclier le plus impénétrable de la liberté, puisqu'elle garantit la vie et les biens des citoyens contre les atteintes de tous les pouvoirs qui pourraient affecter la tyrannie » (*).

Or, l'un des critères de l'indépendance des juges est la stabilité de leur poste. (C'est le fascinant problème du tenure, sur lequel je reviendrai). Dans la « Vie de M. Turgot » (1786), Condorcet rapporte ces propos de son ancien mentor : « Il pensoit que le Roi doit à ses sujets des tribunaux de Justice composés d'hommes ayant les qualités que les lois exigent pour les remplir, indépendants dans le cours de leurs fonctions de toute révocation arbitraire.» (p. 15). Cette idée est reprise dans le Plan de Constitution : « Les juges ne pourront être destitués que pour forfaiture légalement jugée, ni suspendus que par une accusation admise. »  (x.7)

(*) Lorraine Datson: "Condorcet and the Meaning of Enlightenment", Proceedings of the British Academy 151 (December 2007): 113-34.
______________

Saturday, July 6, 2013

CONDORCET & L' « INDÉPENDANCE »

« La politique absorbe tout » — Condorcet

AM | @HDI1780

Je suis frappé, en lisant Condorcet, par l'importance qu'il attribue à la notion d'indépendance. (J'écris ces lignes à la hâte, et j'aurai sûrement l'occasion de revenir sur cette question). Pour s'en convaincre, il suffit de charger le moteur de recherche de Google Books sur cette édition de l'Esquisse (1795) avec les mots « indépendance, indépendant, indépendante » :

...les progrès de [la] perfectibilité [de l'homme], désormais indépendante de toute puissance qui voudroit les arrêter, n'ont d'autre terme que la durée du globe dans lequel la nature nous a jetés (p. 4) [...] laissoit à l'esprit humain, chez les Grecs, une indépendance, garant assuré de la rapidité et de l'étendue de ses progrès (p. 71) [...] cette opinion  d'une idée éternelle du juste, du beau, de l'honnête, indépendante de l'intérêt des hommes... (p. 107)

Et ainsi de suite. N'oublions pas que Condorcet annonce ici « l'indépendance du nouveau monde » (p. 314) qui devrait avoir lieu « bientôt » — ce qui ne manquera pas de frapper les lecteurs du Río de la Plata comme Mariano Moreno, un de ses premiers traducteurs à l'espagnol. Un autre texte où la notion d'indépendance revient à de nombreuses reprises est le Rapport sur l'instruction publique (avril 1792):

...les établissements que la puissance publique y consacre doivent être aussi indépendants qu'il est possible de toute autorité politique ; et comme, néanmoins, cette indépendance ne peut être absolue, il résulte du même principe, qu'il faut ne les rendre dépendants que de l'Assemblée des représentants du peuple, parce que, de tous les pouvoirs, il est le moins corruptible, le plus éloigné d'être entraîné par des intérêts particuliers, le moins ennemi du progrès des lumières.

En fait, dans tous ses écrits, Condorcet souligne, d'une manière ou d'une autre, l'importance de l'indépendance. Une hypothèse : c'est l'étude des mathématiques qui lui insuffla ce goût de l'indépendance.  Dans une addition à l'article INTÉGRAL (CALCUL) de d'Alembert, publiée dans le tome 18 de l'édition de 1788 de l'Encyclopédie, il écrit : « M. d'Alembert est le premier qui ait donné d'une maniere rigoureuse & indépendante de toute hypothèse arbitraire les loix du mouvement des corps dont chaque partie est animée de forces différentes » (p. 887).

* * * 

Tout ceci est, à mon avis, d'une importance capitale. Car ces idées-là seront reprises, en pleine Révolution, au sujet de l'indépendance de la justice et de l'indépendance de ... la banque centrale ! Bien sûr, il n'y a pas encore de banque centrale, mais dès 1790 Condorcet plaide pour l'indépendance de l'institution financière chargée d'émettre le papier-monnaie :

Moins une nation a de crédit, plus une banque est obligée d'en avoir un qui soit indépendant ; et que par conséquent plus une nation peut avoir besoin de se servir d'une banque, plus il est important que les affaires de cette banque soient séparées des affaires publiques... Une banque ne doit, ne peut jamais être un établissement national (*).

(*) « Sur les opérations nécessaires pour rétablir les finances », 1790, Œuvres complètes de Condorcet, Vol. 30. Paris: Henrichs, 1804, p. 44. Voir aussi, à ce sujet, les remarques de Elisabeth et Robert Badinter. Condorcet (1743-1794). Un intellectuel en politique. Paris : Fayard, 1988.
_______________